Le Site de Jules Monnerot

 

 






         Dans La Guerre en question (Gallimard, 1951), Monnerot avait étudié les ripostes possibles aux nouvelles formes de guerre pratiquées par l'Union Soviétique, notamment cette forme de guerre politique qui consiste "à atteindre le moral et le mental" de l'adversaire afin de lui "imposer une conduite", et qu'il nomme guerre psychologique. Pour la petite histoire : c'est à la suite d'un dîner où le général Béthouard avait fait l'éloge de ce livre qui venait de paraître, que le général de La Chapelle demanda à Monnerot de faire des conférences à l'Ecole Supérieure de Guerre qu'il dirigeait. Conférences maintenues par son successeur, le général Lecomte, et supprimées à l'arrivée du général de Gaulle au pouvoir. De 1952 à 1958 ( l'époque des guerres d'Indochine et d'Algérie) Monnerot traita les deux sujets suivants :  
     Renouvellement de la stratégie politique par le marxisme révolutionnaire du XXe siècle, et Principes et régularités concernant la guerre psychologique.

     En -1960, il analyse ce qu'il appelle "la guerre subversive" faite à  la France en Algérie :   


La  guerre subversive en Algérie 





(Extraits de l'exposé fait par Jules Monnerot au second colloque du Comité de Vincennes : Les conditions réelles d'une paix durable en Algérie, le 3 Novembre, 1960)




Définition de la guerre politique

     Il faut d'abord savoir de quoi on parle. Que doit-on entendre par guerre subversive ? La politique et la guerre relèvent toutes deux d'une logique de l'action. Ce sont, parmi d'autres, deux modalités de l'action de l'homme sur l'homme en milieu humain. Ces deux modalités ne sont pas discontinues mais continues. C'est ce que la lecture du général Clausewitz a appris au marxiste Lénine. L'art militaire enseigne que souvent un même résultat peut être atteint soit par la bataille soit par la manœuvre. Cette distinction englobe déjà la distinction entre guerre classique et guerre politique. Il faut entendre par opération de guerre politique un processus continu qui fait leur place et aux moyens militaires et aux moyens politiques. Et c'est leur plus grande efficacité en vue d'une fin limitée - une certaine victoire tactique - qui décide du choix de tel facteur ou convergence de facteurs, et de l'ordre de leur succession. Pour Lénine, un objectif général était donné qu'il appelait la révolution mondiale , et que nous appelons aujourd'hui la conquête des âmes et des corps par l'impérialisme totalitaire dit communiste. Cet objectif étant donné, il doit être atteint par tous les moyens.

     Ces moyens se divisent principalement :

     1° En moyens belliqueux de type classique et conventionnels. Quand on dit "la guerre", tout le monde comprend.
     2° En moyens belliqueux non classiques.

     En allant d'un bout de la série à l'autre, du plus voisin de la guerre classique au plus éloigné, on peut énumérer,  énumération très loin d'être exhaustive : la guerre de guérilla, les coups de main, le terrorisme, les actions clandestines, le sabotage, l'espionnage, l'activité de renseignement, la corruption, le chantage. Ces deux derniers moyens nous mènent tout naturellement aux moyens politiques.

     3°  Moyens politiques, qui peuvent être soit illégaux - notamment quand les organisations agissantes sont illégales - soit légaux. Les grèves et les coalitions diverses sont tantôt illégales, tantôt légales.
    
     Quant à ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, ce qui est orthodoxe et ce qui est hétérodoxe, le communisme n'est tenu par aucune des conventions du monde non-communiste. Nos distinctions de la guerre et de la paix, de la politique extérieure et de la politique intérieure, du spirituel, du politique et de l'économique, sont ou niées ou relativisées. La théorie communiste tient que le communisme est en acte la négation même du monde où de telles conventions existent.

     Il suit de là que :

     A partir du moment où le communisme est un des grands premiers rôles de l'histoire, la phase de l'histoire ainsi caractérisée, et c'est la nôtre [en 1960] pourrait être considérée comme une époque de guerre chronique. Bien sûr, c'est affreux ! Mais on ne refuse pas d'étudier une maladie parce qu'elle est affreuse. Au contraire si on veut guérir une maladie, il faut l'étudier. Je ne pense pas que dans notre situation l'ignorance ou l'erreur soit une condition réelle de la paix.

     En fait dans notre âge de guerre chronique, il y a des accès aigus : ce sont des guerres limitées et dans le temps et dans l'espace, et dans les moyens mis en œuvre. Tels furent l'épisode grec en 1945-1946, les guerillas malaise et birmane, la guerre de Corée, la guerre d'Indochine, aujourd'hui la guerre en Algérie. Ce sont des conflits aigus sur fond de guerre chronique, qui sont à la guerre chronique comme au paludisme des accès de paludisme.

     Ces conflits ne sont pas créés par la présence de la puissance communiste, mais ils sont envenimés, empoisonnés, entretenus par elle. Elle les empêche de finir, et s'en sert pour user le monde libre. Ces guerres ou rebellions aidées et nourries du dehors qui, quand elles sont réduites à leur plus simple expression, se réduisent au terrorisme, sont synchronisées avec d'autres actions subversives qui, quant aux résultats, sont souvent plus efficaces que l'action armée sur le terrain. Souvenez-vous de l'action communiste pour interdire aux dockers d'embarquer des armes à destination de l'Indochine, aux centres de transfusion sanguine de donner du plasma pour les blessés. En même temps des espions communistes diffusent avec des méthodes qui dénotent les plus puissants appuis, et avec l'aplomb que donne la certitude de l'impunité, des documents non publics intéressant la défense nationale.

     Ici la partie non-militaire de la guerre est souvent plus déterminante que la partie militaire. De ce point de vue, quant aux principales méthodes mises en œuvre, la guerre d'Algérie n'apporte rien de nouveau.

     On sait que la politique mondiale du communisme pour une période donnée est résumée et planifiée en "thèses" (au pluriel). Ainsi se détermine la ligne générale à laquelle tous devront se conformer, compte tenu des assouplissements tactiques nécessaires. Or, lors d'une conférence des pays asiatiques et australasiens tenue à Pékin du 16 Novembre au 1er Décembre 1949, sous les auspices de la Fédération Syndicale Mondiale, Liou Shao Chi, idéologue du P.C. chinois, dit dans son allocution inaugurale : "Il est nécessaire de mettre sur pied chaque fois et partout où cela est possible une armée de libération nationale". Le théoricien chinois ajoutait que le P.C. devait donner l'impulsion motrice. Mais tout le monde dans la salle savait que ce n'était là que souhaiter  la situation optima, et que la règle restait de soutenir n'importe quelle révolte. La réussite de n'importe quelle révolte anti-occidentale devant créer par le retrait de la puissance occidentale en question les conditions les meilleures pour la main-mise communiste dans le pays. Aux Etats-Unis on a pu supposer que les Etats-Unis pouvaient l'emporter sur le communisme dans ces conflits ouverts en pays sous-développés par la succession d'une puissance occidentale. Jusqu'à présent le bilan ne leur permet pas, j'imagine, d'être tellement optimistes. Dans les nouvelles unités politiques indépendantes, l'aide économique américaine n'exclut pas la pénétration politique communiste, et dans certains cas extrêmes, celle-là, indirectement, rétribue celle-ci.

     Les premiers cadres de la révolte algérienne ont été formés dans les camps Viet-Minh, et des mois avant la fin de la guerre d'Indochine, les communistes allaient chuchotant : "Après, ce sera l'Algérie". Si la rébellion algérienne avait éclaté plus tôt, l'agression communiste aurait été manifeste, et bien plus difficile à camoufler en décolonisation et en mouvement de l'Histoire. Par ce grignotage successif, il s'agissait de ne pas trop donner aux Américains le sentiment d'un investissement méthodique du monde libre. La révolte éclata quand Le Caire et certaines forces panislamiques du Moyen-Orient se furent mises d'accord, et entre elles, et avec le système communiste, et que la neutralité bienveillante des Etats-Unis eut été considérée comme acquise. La guerre faite à la France en Algérie constitue une variante remarquable  de la tactique déjà mise en action par le système russo-communiste. Il y avait eu guerre par procuration menée par des satellites avec l'aide de techniciens communistes, comme la guerre de Corée et la guerre d'Indochine. En Algérie, il ne s'agissait pas de satellites, mais de formations politiques qu'on avait aidées à apparaître sous cette forme, et qu'on a bon espoir de satelliser par le soutien qu'on leur apporte. Le processus peut être très indirect. En première ligne derrière le F.L.N. il y a le panarabisme, en deuxième ligne, il y a le système communiste : quand la première réserve n'arrive à rien, on fait donner la seconde… 

    


La guerre d'Algérie n'est pas une guerre coloniale


     En dépit d'un lieu commun qui profite en priorité aux communistes, rien n'est plus différent d'une guerre coloniale que ce qui se passe en Algérie. Les guerres coloniales du XIXe siècle qui ont abouti au partage par l'Europe des parties du monde dites aujourd'hui sous-développées, se sont caractérisées :

     1° par l'inégalité des forces en présence. D'un côté, le conquérant civilisateur armé et organisé à la moderne. De l'autre, des peuplades disposant d'une organisation et d'un armement archaïques;

     2° par la tolérance et la non-intervention militaire des autres grandes puissances.

     La guerre en Algérie est le contraire d'une guerre coloniale. Les fellagas ont leurs bases d'attaque en dehors de l'Algérie. Tout leur vient du dehors : armes, équipements de toutes sortes, méthodes d'organisation. Le vaste racket qui rançonne les travailleurs musulmans n'apporte que des ressources complémentaires. Opère en Algérie une organisation à ramifications mondiales, recrutant des hommes sur place par la menace de mort et le système des otages, organisation qui est ravitaillée, épaulée de manières diverses par les plus grandes puissances du monde : Union Soviétique, Chine, pour ne parler que d'elles, sans compter les seigneurs de moindre importance. La guerre en Algérie est un épisode d'une lutte mondiale complexe, à laquelle l'abandon de l'Algérie ne mettrait pas un terme. Dans un tel conflit, on peut perdre, on peut même gagner. Mais ce qui est indigne de la France, c'est de feindre de ne pas percevoir les faits. La guerre en Algérie n'est pas une guerre coloniale, c'est une des formes que prend pour le moment une guerre subversive totale dont les centres moteurs sont à l'extérieur de la République Française, à l'extérieur des départements d'Algérie.

     La guerre en Algérie, du point de vue dont je me place, est une crise aigüe dans une maladie chronique. C'est un épisode de guerre politique où les méthodes subversives et l'action psychologique, les procédés d'ordre politique insérés dans le dispositif guerrier, ont plus d'importance relative que les opérations proprement militaires, opérations militaires qui se sont ramenées jusqu'ici à des actions de guérilla et de contre-guérilla.

     Nous sommes ici à Paris. C'est donc l'aspect politique et psychologique de ces opérations de guerre, en tant qu'elles se déroulent ailleurs qu'en Algérie, qui doivent nous retenir.



Le conditionnement des réflexes


    
L'arme principale de la guerre psychologique qu'on nous fait est le conditionnement des réflexes mentaux. Le but de cette opération est d'introduire dans la conduite du sujet et dans sa conscience des motivations qui aboutissent aux actions et aux abstentions que l'ennemi veut lui faire adopter.


     On connaît l'usage du conditionnement psychologique des masses et des individus par la technique du chien de Pavlov, les gens étant dressés à des réactions hostiles déclenchées par un mot-signal ; exemple : fasciste. Quand les staliniens ont, jadis, voulu transférer l'hostilité sur les socialistes, ils ont émis le mot-signal : social-fasciste. Même jeu avec hitlérien et hitléro-trotskyste. Une semblable opération de conditionnement vient de faire du mot "colon" une sorte d'injure. Avec ce type d'opération, on pourrait aussi bien faire une injure du mot "ingénieur". Il n'y faut qu'une organisation et des moyens suffisants. On a constaté aussi le conditionnement psychologique qui fait désigner par le mot "ultra"- mot chargé d'un signe négatif par les manuels d'histoire de France en usage dans les écoles - les Français d'Algérie qui veulent rester français et d'Algérie. Ultra veut dire exagéré. On voit mal ce que la position de nos compatriotes d'Algérie a d'ultra, d'exagéré, et au-delà de quoi elle est. En somme un ultra est un Français peu enclin à se laisser exproprier. Mais seulement quand ce Français habite l'Algérie. Un habitant de la France métropolitaine n'est pas enclin à se laisser exproprier ? On l'estime normal, et c'est l'attitude contraire qui inquiéterait ses proches et serait justiciable d'un traitement medical approprié !

     Mais par un bombardement verbal continu, par la parole, la presse, le fait qu'un mot a été prononcé des milliards et des milliards de fois, le résultat est acquis. Aujourd'hui tous les journaux ou presque écrivent "ultra", et le citoyen innocent voit son jugement prévenu sans qu'il le sache quand il use de ce mot : son comportement a été induit par certaines forces politiques qu'il sert ainsi même quand il leur est consciemment hostile. On lui frelate ses propres mots dans la bouche !




L'utilisation des mots


     Avec la perversion du sens des mots par le conditionnement, un des procédés les plus fréquents de la guerre psychologique communiste est l'utilisation de l'ambiguïté. Je m'explique : On se souvient de l'affaire Rosenberg. Les Rosenberg, communistes, furent arrêtés, condamnés, exécutés comme espions atomiques. Si vous examinez les campagnes communistes qui à ce propos remuèrent le monde et troublèrent les consciences partout, vous constaterez une constante ambiguïté : tout en disant que les Rosenberg devaient être grâciés comme innocents, ces campagnes n'excluaient pas qu'ils dussent être glorifiés comme donnant l'exemple. Mais l'exemple de quoi donc ? Les Rosenberg étaient à la fois des innocents condamnés par une erreur judiciaire des monstrueux capitalistes, et des héros du communisme tombés aux avant-postes dans la guerre contre le capitalisme. Cette guerre, ils la faisaient donc ! Et s'ils la faisaient, ils n'étaient donc pas innocents ! Il est certain que si l'aspirant Maillot avait été tué cinq minutes avant d'avoir passé à l'ennemi, les intellectuels de gauche en auraient fait une affaire Dreyfus - enfin, ils auraient essayé. C'aurait pu donner lieu à une formidable mobilisation du type de celle qui s'est produite pour les Rosenberg. Nous aurions été courbés sous les mandements comme des épis de blé versé.

     Un exemple plus récent : ceux qui ont lancé le manifeste sur le droit à l'insoumission (ces mots sont d'ailleurs contradictoires ; cela signifie exactement droit au crime : les deux termes de la proposition se détruisent) eh bien! ceux qui ont lancé ce manifeste avec l'éclat que l'on sait, l'ont nommé "Manifeste des 121" pour utiliser le souvenir historique scolaire de l'"Adresse des 121", qui donna le signal de la chute d'un pouvoir qui précisément avait occupé Alger. 121, cela rappelle en somme la lutte de la gauche contre la réaction . On excite une certaine couche de l'inconscient, ou, pour ainsi parler, le département scolaire de l'inconscient. Vous voyez les ficelles.

     Suivez le fil conducteur des mots. Les associations créées par les communistes pour les soutenir dans la guerre chronique, s'appellent "Associations des Partisans de la Paix". Or ils sont plus partisans de la guerre que leurs adversaires puisque cette guerre chronique n'existe que parce que le système communiste imbu et intoxiqué de lui-même, ne reconnaît pas de vérité et de valeur en dehors de lui, et entend régner sur le monde.



Le droit à la trahison


     Un des objectifs visés par l'action de martèlement psychologique du communisme, c'est la désagrégation, le délitement, la dissolution du sentiment national qui s'exprime par l'idée qu'une communauté cohérente est menacée par la trahison dans son être même, et la collectivité réagit vigoureusement contre cette menace. Dans la guerre psychologique qui nous est faite, le martèlement des cerveaux a pour but d'obscurcir les choses jusqu'à faire croire que la trahison est non pas une menace de mort pour la collectivité, mais au contraire un droit pour chacun des citoyens qui la composent ! Et comment ? Chaque jour un martèlement journalistique continu nous conditionne indirectement à croire que "trahison" c'est une notion désuète, moyenâgeuse, appartenant au vocabulaire des pères nobles du répertoire, quelque chose de pompier, qui n'a pas sa place dans une société progressiste. C'est un mot que les intellectuels occupés, préoccupés ou téléguidés, prononcent avec de méprisants guillemets. Il s'agit de provoquer une sorte d'accoutumance à la trahison. La trahison finit par devenir le plus sacré des devoirs dès qu'un chef d'orchestre invisible quelque part lève sa baguette. L'altération du sens du mot trahison est un excellent test des résultats atteints dans la désagrégation d'une société frappée à la tête et qui n'a plus l'idée claire de ce qui la menace vitalement. Bien entendu dès que les communistes ont le pouvoir, la notion de trahison est remise en vigueur sous sa forme la plus implacable.



Utilisation des mots (suite) : paix , torture


    … En 1948, quand la campagne des "Partisans de la Paix" voulait vous faire signer l'"Appel de Stockholm", ils vous disaient : "Alors vous êtes pour la destruction atomique ? " Que de pauvres gens pour ne pas être montrés du doigt par leurs collègues se sont exécutés ! De même aujourd'hui on menace ceux qui ne sont pas partisans de l'abandon de l'Algérie d'un odieux chantage moral exactement du même type. On leur dit : "Alors, vous êtes pour la torture ? " La campagne sur les tortures est l'une des opérations de guerre psychologique les mieux réussies de l'époque. Analysons un peu. Il y a l'emploi du mot torture. Les sévices en question n'ont en général pas de rapport avec l'usage judiciaire contre lequel combattit magnifiquement Beccaria au XVIIIe siècle. En réalité si on lit, par exemple, le livre de M. Alec Mellor, La Torture, publié en 1949, on y voit que toutes les forces répressives du monde n'ont jamais cessé d'employer des sévices variés pour faire parler les délinquants.

     Quand des bourgeois progressistes portent plainte parce qu'on leur a volé des couverts en vermeil, ils ne s'étonnent pas que le voleur avoue si rapidement. Leur conscience, si exquise quand il s'agit du terrorisme des fellaghas, ne leur fait point parvenir le moindre avertissement. Nul doute qu'ils ne pensent que si le voleur s'est mis à table, c'est en dégustant une tasse de Darjeeling, le petit doigt levé. Ces consciences toutes sensitives, irisées et frissonnantes de scrupules, en fait, travaillent à l'avènement des puissances les plus impitoyables. Comme Pascal avait raison : "Travaillons donc à bien penser, ceci est le fondement de la morale". On doit condamner et les sévices actuels et les tortures médiévales, mais il est erroné et malhonnête de dire qu'il s'agit de la même chose. Si une conscience de sensitive s'accompagne d'une intelligence lacunaire et d'un esprit critique émoussé, elle est ployable à tous les fanatismes. Ainsi des personnages, quant à eux, remarquablement dépourvus d'inhibitions humanitaires, téléguident en toute liberté d'esprit les scrupules de gens qui ne leur ressemblent pas, et qu'ils méprisent du haut d'un confort intellectuel extrêmement fruste. Pouvoir mener à bien des opérations de guerre psychologique de ce type suppose le contrôle d'un formidable appareil de martèlement psychologique, une implantation telle que de grands intérêts sont favorables à l'opération, et enfin le maniement à volonté des intellectuels les plus portés à l'esbroufe, les hommes-sandwich du XXe siècle. C'est une spécialité où la France se classe première.

     A propos de cette campagne des tortures, il est une constatation difficile à éviter. Au début de la guerre d'Algérie, les communistes ont essayé d'agir directement sur les appelés du contingent. Cela s'est soldé par un échec total. Ils ont donc échoué avec le contingent composé en majorité d'ouvriers et de paysans. Ils sont en train de réussir par le moyen de l'U.N.E.F. [Union Nationale des Etudiants de France]. Or dans les universités, pas plus de 3% de l'effectif n'est d'origine ouvrière et paysanne. Le 27 Octobre [1960], à la Mutualité, c'était une manifestation de privilégiés qui se déroulait, tandis que les non-privilégiés accomplissaient leur devoir militaire. L'action psychologique communiste a obtenu dans notre société des résultats si sensationnels qu'à lire les journaux, on dirait que n'est apparue à personne l'énorme et rare indécence d'un étudiant sursitaire, parlant avec la permission du gouvernement et sous la protection de la police, pour accuser la France de génocide en Algérie, accusation que la France ne veut pas entendre à l'ONU et dont la fausseté est absolue, puisque les fellagas ont fait plus de victimes musulmanes que de victimes chrétiennes.
 


L'armée a compris


     Mais il est un résultat de cette action psychologique, subversive, politique, qui est, si possible, plus remarquable encore, c'est le conditionnement psychologique réalisé à propos de l'armée. Le bombardement psychologique a obtenu le résultat suivant : une légende veut que la doctrine de la guerre subversive soit une idéologie propre aux officiers français qui l'auraient forgée pour prendre le pouvoir politique. Exactement comme les bolcheviks ont mis au point une doctrine de lutte qui leur a permis de prendre le pouvoir lors de la révolution russe. La fausseté même de cette analogie est révélatrice, car elle en dénonce l'origine. En fait les officiers français n'ont commis d'autre crime que d'avoir compris ou d'être en train de comprendre ce que je suis en train de vous expliquer. Du point de vue communiste tout allait bien, jusqu'au moment où les officiers français se sont mis à se renseigner sur la tactique communiste. Car le communisme c'est une doctrine qui s'est fait une armée : une armée qui a compris sa doctrine, c'est le roc sur lequel il peut se briser. D'où les efforts de la subversion communiste pour isoler l'armée de la nation…

     … Ceux qui font de l'action psychologique pour l'ennemi n'ont que le mot paix à la bouche. Leur fonction dans le dispositif est de désarmer et d'endormir. Leur résister, disent-ils, c'est préférer la guerre, et dire la vérité,  c'est être belliciste. Forts de 9O ans de démocratie électorale, ils pensent que le premier qui prend le mot paix comme cri de guerre, doit faire rentrer sous terre la partie des Français qu'il s'agit de spolier…

     La recherche des conditions réelles, objectives d'une paix en Algérie, paix que tout le monde désire, et nous, bien plus que les intellectuels qui ont abdiqué leur contrôle mental au profit de l'étranger, la recherche de cette paix est strictement incompatible avec, par exemple, une mobilisation des masses travaillées par l'action psychologique ennemie, du type de celle que le gouvernement a autorisée le 27 octobre au Quartier Latin. Cette manifestation unéfienne d'étudiants sursitaires est un acte caractérisé de guerre subversive. Ces victoires sont les seules que peuvent remporter les fellaga. Les fellaga ne peuvent remporter de victoire que par personnes françaises interposées. Et ceci met les choses sous leur vrai jour. Les fellaga ne peuvent remporter de victoires qu'en France et les soldats de la guerre subversive sont des Français métropolitains agissant en France…

  

( Texte intégral de La guerre subversive en Algérie : Les Cahiers du Comité de Vincennes, n° 3, décembre 1960)            

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