Jules Monnerot répond à Hannah Arendt

 

 








RACISME ET IDENTITE NATIONALE

 

(Revue Itinéraires, 1990)

_________________________________________________________________


 SOMMAIRE:



 _________________________________________________________________



Raciste : un terme relatif

 

    Supposons que le mot « racisme » soit employé de bonne foi, ce qui n’est pas en général le cas, quelles sont les situations respectives de celui qui lance l’épithète et de celui qui la subit ?
 
  Chacun des deux, celui qui lance l’épithète et celui qui la subit, a conscience d’appartenir à un groupe historique ou ethnographique différent de celui de l’autre. Cette épithète ne peut être sincèrement lancée qu’au nom d’un groupe ethnohistorique qui se trouve – prenons ce mot au sens fort qu’il avait au XVIIème siècle – « gêné » par l’autre. C’est ce qui se passe lors d’une conquête où les deux groupes en contact, le vainqueur et le vaincu restent  distincts, c’est ce qui se passe dans les phénomènes dits de colonisation, cas particulier des phénomènes de conquête, phénomènes où les deux parties n’ont pas le même statut et où les particularités des uns gênent les autres, où les participants du groupe le plus fort vulnèrent psychologiquement les plus faibles. Chez ceux qui ont le dessous : conscience d’être frustrés ; chez les vainqueurs : conscience de leur supériorité et volonté d’user de cette supériorité, de la convertir en avantages de divers ordres. C’est ce qui se passe également dans une autre occurrence historique que les grands observateurs de l’histoire universelle, tel Arnold Toynbee, tiennent pour une sorte de catégorie historique, pour un type de situation inhérent à la structure de l’histoire, qui se rencontre quand certains paramètres historiques se situent d’une manière analogue les uns par rapport aux autres, et constituent la « figure » : invasion. Ces cas d’application de la catégorie historique d’invasion sont loin d’être semblables entre eux et ils peuvent différer grandement. Bref, on peut tenir l’invasion pour un genre dont on connaît des espèces très diverses. Les invasions barbares qu’ont subies les grands empires civilisés de Rome et de la Chine, pour ne parler que d’eux, ne sont pas le modèle unique d’invasion. Une invasion se reconnaît à coup sûr au rapport de la quantité d’intrus qui sont sur place, au temps qu’ils ont mis pour y être. Une quantité relativement grande de nouveaux venus dans un temps relativement bref, ces paramètres, dans le cas de la France de 1988, indiquent le mot invasion comme le terme juste. Le XXe siècle étant un siècle idéologique et pseudo-moral, l’invasion trouve les plus majestueuses justifications idéologiques et morales. L’ensemble des dispositifs de communication et d’enseignement pousse les Français autrefois en possession d’état, c’est-à-dire en possession de la France, à se laisser faire, et – hardiment ! – à perdre les caractères qui pourraient déplaire aux envahisseurs. Qu’il nous suffise pour le moment, de remarquer que la confrontation en général conflictuelle de groupes ethnohistoriques différents caractérise les deux types de situation, la colonisation et l’invasion, qui sont deux cas d’avancée rapide et efficace de gens dans des contrées qui jusque là se passaient d’eux. Ces deux types de situation connaissent des affinités sur lesquelles nous aurons à revenir.

     Soit deux groupes ethnohistoriques, qui se disputent un même espace. Ils se gênent réciproquement. En ne considérant que l’aspect de psychologie formelle des choses, que se passe-t-il ? Chacun des deux groupes en présence s’inquiète des comportements de l’autre, et chacun sélectionne un certain nombre de caractéristiques de l’autre, très différentes de ses caractéristiques à lui, et qu’il ressent comme choquantes, voire vulnérantes. Chacune des deux « espèces » ne se reconnaît pas dans l’image qu’en a formée l’autre. On peut parler de subjectivité collective. Les images collectives ainsi produites ne sont possibles que par l’optique d’un groupe ou d’une espèce sur une autre. On peut parler de phénomène de perspective d’un groupe humain sur un autre. S’il n’existait au monde qu’un seul groupe humain homogène, ce groupe humain n’aurait ni forme ni contours. Nous avons une identité parce qu’il existe d’autres identités. Ce ne sont pas les primitifs qui se sont appelés eux-mêmes primitifs. Nous ne pouvons rien en principe sur la perspective prise par d’autres, et du dehors, sur nous. Cela est vrai en termes de temps comme en termes d’espace. Un chevalier du Moyen-Age ne pouvait se définir à son époque comme chevalier du Moyen-Age. Conséquence, il n’y a pas et il ne peut pas y avoir de substitution de perspectives.. Dans une invasion, les points de vue de l’envahisseur et de l’envahi ne sont pas permutables. La communication entre ces deux groupes donne lieu à des phénomènes conflictuels. Ceux que la situation historique révèle les plus faibles en termes de simple puissance déprécient de manière tenace les particularités des plus « forts », ces « faibles » compensent psychologiquement leur sentiment d’infériorité en formant une image péjorative de leurs vainqueurs. Chacun des deux groupes en présence s’inquiète des comportements de l’autre, chacun prend des mesures de protection contre ce trouble, cette image potentiellement menaçante. Chez les hommes, individuellement et collectivement, la constatation de différences ne peut pas ne pas donner lieu à des jugements de valeur. L’homme, animal  perspectiviste, est un animal qui  valorise – en bien et en mal – un animal qui hiérarchise. Les différences ne sont pas indifférentes. Chez l’homme, animal porte-valeurs, nous ne pouvons faire qu’elles ne soient portées sur une échelle hiérarchique. On ne peut contraindre l’homme à ne pas hiérarchiser.

     Tel groupe réagit mal à tel autre groupe. L’un des groupes en question, ou les deux, nomme l’autre raciste, ce qui signifie qu’il perçoit que l’autre groupe réagit aux particularités qu’il présente, de manière négative ou très négative. Un spectateur impartial de cette situation pourrait nommer l’un et l’autre groupe « raciste ». Ils le sont en gros tous deux l’un par rapport à l’autre, et aucun n’est enclin à reconnaître les faits sous cette forme. Chacun criera qu’il ne fait que noter des vérités. La réalité qu’il y a derrière le terme « raciste » est qu’un groupe humain gêné par un autre groupe humain réagit. Une telle situation est une constante à la fois diachronique, c’est-à-dire qu’elle se produit dans l’histoire à la verticale du temps, et synchronique, c’est-à-dire qu’elle se produit de façon plus ou moins simultanée dans maint pays de la planète. Il y a, si l’on admet la définition qui précède, des racistes relatifs, du fait de circonstances historiques : c’est une occurrence qui peut se présenter ici ou là.




L’antiracisme : une supercherie de masse



    
  Si l’on s’en tient à une description formelle de comportements, il n’y a aucune différence entre racisme et antiracisme. L’antiracisme serait la conduite de groupe que j’ai décrite sous le nom de racisme, mais appliquée à ceux qui ont été préalablement désignés sous le nom de racistes. L’antiracisme est un racisme contre les racistes. Le groupe détesté est construit par le groupe détestateur qui sélectionne des traits réels et même, en plus, des traits imaginaires, traits qui sont l’objet de rites d’exécration et de malédictions collectives à la mode du XXe siècle réputé civilisé, surtout de malédictions médiatiques. Ce sont techniquement les plus parfaites excitations à la haine qu’on ait connues dans l’histoire de l’humanité. Le caractère simultané, ubiquitaire et indéfiniment répétitif sous des formes sans cesse variées du message de haine, semble lui donner des chances d’irrésistibilité. Les élites critiques, qui seraient parfaitement en état d’y résister, sont impitoyablement écartées du dispositif médiatique. « Voyez, voyez la machine tourner »… comme disait l’immortel M. Ubu.

     Comme je viens de l’expliquer le terme raciste est un terme relatif. Le tour de passe-passe à vous couper le souffle dont retentit actuellement la politique française est de le faire prendre pour un terme absolu. De faire d’une épithète ambulatoire, c’est-à-dire pouvant s’appliquer tantôt aux uns, tantôt aux autres, un terme fixé et fixiste. L’objectif de cette supercherie de masse est de nous conduire au résultat toujours cherché en matière de terrorisme intellectuel : mettre en face d’une catégorie de suspects, de coupables présumés qui peuvent s’appeler légion, une catégorie accusatrice : les « antiracistes » qui décréteront de « racisme » tous ceux à qui ils en ont. Il y a donc des groupes et des personnes qui seront toujours partout et quoi qu’ils fassent antiracistes, et à l’inverse, les groupes et les personnes qu’ils désignent seront réputés racistes.

     Derrière l’emploi de termes comme « raciste » et « antiraciste », nous ne trouvons pas une doctrine susceptible d’être réfutée. Il s’agit d’une pure logomachie, jusqu’ici d’une surprenante efficacité, bref d’une réussite dans une de ces opérations de guerre sémantique qui caractérise notre époque. Le but de cette opération de diversion est d’interdire d’examiner avec le sang-froid nécessaire le type d’invasion que subit la France sous le nom d’immigration, d’évaluer les dommages déjà faits à l’identité française et de décider de la forme que doit prendre la résistance. Le but de cette grosse diversion, l’opération « antiracisme », est de faire en sorte que la situation ne soit pas examinée.

     Le terme « raciste » est un terme péjoratif global. Dans le cas historique de la colonisation, ce mot a été utilisé du point de vue des colonisés. Dans le cas de l’invasion (c’est dans cette catégorie qu’entre le reflux de l’activité colonisatrice que les grandes puissances coloniales subissent après la « décolonisation ») c’est du point de vue des envahisseurs que l’anathème « raciste » est jeté sur les nationaux de l’ancienne métropole à son tour envahie. C’est une réaction négative et dépréciative en général en face des particularités d’un groupe que l’autre groupe ne possède pas. C’est à cette réaction négative et dépréciative que renvoie le terme « raciste ». Tel est le phénomène auquel nous avons affaire. L’épithète « raciste » n’est pas jetée hic et nunc à des personnes qui seraient les tenants d’une idéologie qui comporte une classification des races et qui se targueraient d’une supériorité de race. Elle est jetée au nom d’envahisseurs à des envahis dont une partie au moins est soupçonnée de ne pas vouloir se laisser faire. Les Français partisans et collaborateurs d’une invasion de la France, invasion d’un certain type (nous reviendrons là-dessus) nomment les Français récalcitrants ou virtuellement récalcitrants racistes, et se nomment eux-mêmes antiracistes.

     L’antiracisme des insecure invaders, des immigrés, pourrait aussi bien se dire racisme. C’est un jugement négatif porté par eux sur ceux qui ne leur font pas toute la place qu’ils désirent, et qui se prévalent d’une antériorité dans l’occupation des lieux, comme on dit en Droit.





La liquidation française



 
     L’antiracisme des idéologues français et assimilés désireux de contraindre leurs compatriotes français à faire place aux nouveaux occupants, et à faire que ces nouveaux occupants jouissent de tous les droits et prérogatives dont jouissent les Français, n’est pas la simple réaction de groupe, cas typique se retrouvant dans l’histoire dans le cas d’invasion, il s’agit chez les plus conscients, chez ceux qui ont réellement un projet, d’une volonté politique, la volonté de modifier la teneur de la population française, de telle sorte que le terme « France », en cas de réussite de cette opération grandiose d’invasion acceptée, change tout à fait de sens. Supposons cette opération réussie,  l'idée de la France comme œuvre historique de lignées successives où le regard rétrospectif de l’observateur peut discerner quelque chose comme une volonté, comme une collectivité ayant une mémoire, étant un passé et se concevant elle-même  comme le présent de ce passé, cette idée est effacée. Il n’y a plus de France.

     Nous avons commencé par supposer un antiraciste de bonne foi afin de faire voir les phénomènes réels dont l’ « idéologie » qu’on lui a inculquée est une traduction illusoire. L’analyse doit faire le chemin inverse. Prenons maintenant l’antiraciste médiatique, la mauvaise foi en personne qui nous assourdit et qui fait jouer les techniques d’obsession. Quelle est la signification de cette magistrale orchestration ? D’abord une application « hard » du terrorisme intellectuel, un escamotage pyramidal. A la question :

Si nous examinions les  problèmes de divers ordres  que nous pose ce flot démesuré de visiteurs sans retour?

A la place d'une réponse , les mille voix tonitruantes du conformisme sinistre clament:

Nous sommes menacés par un grave danger: le racisme.


   Et vient la mega-diversion :

Souvenez-vous de Hitler. Il revient. Il est prioritaire que les Français se mobilisent contre le fantôme. Le siècle est hanté !
   
 
 
Avec les media, une diversion aussi grossière, un tour de bonneteau aussi primitif, indigne des plus humbles foires de village des époques sans media, réussit par une convergence à haut bruit de la manipulation politicienne, de la désinformation médiatique, de la désinstruction publique, ou de la maléducation nationale si l’on préfère. Dans la même ligne d’escroquerie intellectuelle, on fait donner les droits de l’homme, l’égalité, l’universel. Au nom de l’universel, on invoque, contre la particularité française, les droits de l’homme en général. Les droits de l’homme exigent, entendons-nous, que la France avale sans filtrer. Il semble que la France soit un contenant universel où l’on puisse encore et toujours verser de l’homme… en toute sécurité… sociale. En même temps il est fait de grands efforts d’organisation. Les trotskistes en disponibilité d’idéal marxiste, mais étant devenus en plusieurs générations les meilleurs techniciens de l’agitation, s’emploient à faire lever la pâte immigrée et la pâte étudiante, tandis que les politiciens croyant à ce concert entendre les trompettes de la renommée, rallient en cavalcade le cortège. L’opération racisme-antiracisme débouche sur une très remarquable performance du terrorisme intellectuel qui, à travers des gouvernements censément de couleurs différentes, et en dépit des malheurs doctrinaux du marxisme-léninisme, n’a fait que croître et embellir. L’idéologie mécanisée et détaillée par les media n’a plus besoin d’idéologues. En fait, l’opération racisme-antiracisme a pour objet de briser la résistance française à une invasion allogène par la seule action psychologique. Les opérateurs songent même, si l’on en croit le rapport Hannoun, à déchaîner, en partant des mots anathèmes, des foudres judiciaires et policières. Ils semblent souhaiter que mal penser soit passible de sanctions. Ils n’ont, semble-t-il, jamais entendu dire que, selon un augure de la première moitié de ce siècle, « la liberté d’errer est la contingence du Bien ». A noter que cette tendance totalitaire s’exprime naïvement au sein d’un de ces partis que les gens qui se disent « de gauche » appellent « de droite ».

 




Le multiculturel et le multiracial
    


   Il convenait ici – nous n’avons pas le temps de faire plus – que nous nous élevions contre deux impostures, liées entre elles et que les tonnerres médiatiques du terrorisme intellectuel tentent d’imposer à la France et aux Français. La première était l’antiracisme. Nous en venons à la seconde : la réduction de la France en France des communautés, en société multiculturelle.

   Multiculturel, ce terme tristement d’époque est mal pensé, et, quant à l’usage de la langue, à peine français. Il signifie que les cultures peuvent se cumuler, ce qu’ils veulent prouver par l’exemple de la France qu’ils sont en train de nous préparer.

  Les plus déterminés et les plus confus à la fois parlent d'une France multiraciale et multiculturelle.
 
  En fait le qualificatif de multiracial  
[1]  est applicable à la France si l'on donne dans ce genre de terminologie. Mais l’histoire nous montre qu’il y a toujours un groupe dominant, ce qu’il a été d’usage de nommer jusqu’ici les Français, sans plus. Dominant culturellement, puisque nous ne traitons que de culture. Multiracial, oui, multiculturel, non.
   
 Revenons à multiracial. En fait, c’est le groupe dominant, les Français qui, dans le temps, par un grand nombre de lignées, est devenu en quelque sorte le sujet dont toute la culture est l’attribut. Des individus et des petits groupes d’origine différente peuvent s’agréger à cette culture. C’est une question de quantité et de mesure. Mais nous devons éclairer ce qui se cache derrière le terme plus qu’équivoque de multiculturel.

     Qu’est-ce qu’une culture ? L’ethnographie, la protohistoire, l’histoire nous révèlent une pluralité de cultures. Si nous considérons la somme des acquis humains, c’est une abstraction, passionnante certes, mais une abstraction. Des utilitaristes bornés peuvent concevoir une pan-culture. Il n’est pas besoin d’insister. Des utopistes peuvent rêver qu’une seule espèce d’arbres porte tous les fruits, mais ni l’Iliade, ni la Divine Comédie, ni les Illuminations n’ont été écrits en espéranto mondialiste.

     Le panculturel est chimérique. Mais bien qu’il symbolise une menace redoutable, le multiculturel n’est pas plus valable.
 



 
Qu’est-ce qu’une culture ?




    
 Une culture est un groupe dont les membres sont unis par l’acceptation de symboles communs, de normes de comportement culturellement ritualisées, dit un ethnologue. Comment une culture se constate-t-elle ? Pour ainsi dire physiologiquement. Elle se constate par ce que l’ethnologue américain Kroeber nomme le « handing through from one generation to another », c’est-à-dire dans une transmission pour ainsi dire de main en main. Les générations changent ce qu’elles transmettent. Mais il y a un sujet de ce changement. Ce que nous appelons culture et identité. Il y a une mémoire. Il y a des permanences et c’est sur le fond de cette constante qu’il y a des variables.

     La culture consiste aussi à filtrer les éléments transmis et à les accommoder à une réalité historique en devenir – ce qui ne va pas sans déchets, mais aussi sans créations ; ce qui est conservé ne peut souvent l’être sous la forme transmise, et la tradition ne s’accommode à la réalité que par des créations. Ce système délicat peut être bloqué.

     Il y a donc participation, implication réciproques entre société et culture. La dissociation stricte de la culture et de la société est une idée d’intellectuel, une idée qui ne tient pas compte des faits. Si on travaille à les séparer, ces tentatives de mutilation, procédant d’une ignorance qui se prend pour une omniscience, peuvent provoquer des dégâts sans limites assignables d’avance. Culture est culture d’une société.

     La transmission, le caractère cumulatif, la contagion jouent avant tout sur des valeurs  et des normes. Ce sont ces valeurs et ces normes qui, caractérisant une culture et non une autre, font des termes culture et  identité des termes synonymes en sociologie. Un individu peut être identifié du dehors par un ethnographe à sa culture, dont font partie aussi bien sa façon de s’habiller que sa façon de manger et sa façon d’invoquer son Dieu ou ses dieux.

     L’ethnographie et l’histoire nous apprennent aussi qu’une culture est le moyen d’accès à des valeurs supérieures au centre desquelles il y a les valeurs religieuses. Lorsqu’on parle de France multiculturelle, que veut-on dire ? On veut dire que sur ce territoire relativement restreint, plusieurs de ces systèmes qui sont exclusifs vont cohabiter. C’est tout à fait pensable, mais il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit pas d’un espace vide, mais d’un espace qui contenait une partie de ce qu’on nommait autrefois la Chrétienté. Je ne pense pas que ce soit faire une révélation que de dire que même déchristianisée – et la France ne l’est pas tout entière, tant s’en faut – notre religion originelle a laissé derrière elle quelque chose qui porte sa marque. Il ne faut pas croire que l’obsolescence des dogmes signifie nécessairement la disparition de la religion. Ce qui n’est plus perceptible comme Chrétienté peut être perçu comme culture. Du fait de toute son histoire, de ce passé, de cette civilisation où la religion a un caractère constituant, l’installation massive de religionnaire de l’Islam, même en mettant entre parenthèses la possibilité de contagions fanatiques, pose à la limite le problème de l’identité.






Barbarisation de l’Occident



    
 Notre époque ressemble à la période hellénistique. En un sens, le monde entier s’occidentalise par la technique et l’imitation, mais en même temps, comme par un effet de vases communicants, l’Occident se barbarise. Les résistances qu’opposent à nos disciplines les parties de peuples étrangers qui nous envahissent, éveillent la barbarie latente qui sommeille en nous. Ce que Toynbee appelait dans sa terminologie le déferlement du « prolétariat externe » est en train de prendre tous les caractères d’une contre-colonisation, et peut-être d’une contre-civilisation. La cité, le citoyen ne sont-ils pas déjà derrière nous ?

     Pour certains, la France « multiculturelle » n’est qu’une étape vers l’unité mondiale. Le mondialisme est intellectuellement débile et semble fondé sur une solide méconnaissance du passé humain. Qu’est-ce qui fait penser à ces personnes qu’à défaut de la persistance des anciens, qui d’ailleurs est plus que possible, de nouveaux particularismes ne se reformeraient pas, de nouveaux groupes ne se stratifieraient pas en tendant à s’exclure réciproquement et à constituer de nouveaux isolats endogames ?

     Nous savons que le monde des pensées et le monde des événements pour ainsi dire ne procèdent pas de la même manière. En travaillant activement et passivement à cette France multiculturelle, à cette France des communautés, il n’est pas interdit de penser que les politiques et les manipulateurs provoqueront la venue d’événements tout autres. C’est pourquoi personnellement je suis de ceux qui prennent le parti d’arrêter la France au milieu de la pente. Ce ne sera pas sans difficultés. Mais quelle est la voie sans obstacles ?
 


   

Les deux conditions du maintien de l’identité française

    



Une culture est donc l’œuvre d’un groupe de lignées, d’un groupe ethnohistorique et du temps. Le facteur temps n’est pas évitable.

     Il y a changement. Il n’y aurait pas histoire s’il n’y avait pas changement. Il y a aussi absorption d’éléments ethnohistoriques différents. Là, le maintien de l’identité, dans  le cours de l’histoire qui vient, n’est possible qu’à deux conditions :

     Première condition : une culture au sens ethnographique et historique ne peut absorber sans dommage pour son identité que des individus ou des familles au sens restreint : un couple, ses enfants et s’il y a lieu ses parents. En témoigne le cas de l’Empire Romain, dont la culture et l’identité furent non seulement menacées, mais condamnées à terme, lorsqu’il absorba des collectivités entières : tribus barbares ou au moins groupes tribaux formant des totalités autonomes avec leurs familles, qui étaient d’un autre modèle que la famille romaine, avec leurs pratiques spécifiques et différentes, avec leurs coutumes de toutes sortes, et leurs dieux, leur type propre de paganisme. Il n’y avait plus de proportion entre la capacité romaine d’acculturer des étrangers et le nombre des allogènes, leur densité d’occupation.
Avec les musulmans en France, mutatis mutandis nous risquons, si nous ne nous redressons pas à temps, d’avoir une variante de ce modèle polyhistorique, et une variante sévère[2] . Ces musulmans ont un système familial différent, des pratiques alimentaires et rituelles qui les retranchent par avance de la culture occidentale, dont seule la partie matérielle – ce n’est pas un secret – semble être pour eux un objet de tentation.
 
     La deuxième condition : d’identité est parente de la première. C’est une question de quantité. Tant qu’il y a une certaine proportion numérique entre les citoyens du pays qui accueille et les étrangers que ce pays accueille, nous restons dans les limites du changement, qui est l’histoire même. Mais si les deux conditions, invasion par des groupes ethnohistoriques allogènes et ressortissants d’une autre culture, et de plus invasion massive, sont simultanément remplies, ce n’est plus de changement qu’il faut parler, ou plutôt il s’agit de changement irréversible. La culture atteinte, telle qu’elle avait été définie, n’existe plus.

     C’est la menace qui plane sur nous de manière de plus en plus précise. Elle consiste en l’invasion par des groupes ethnohistoriques allogènes de culture différente -  et rien n’est plus signalétique d’une culture que la religion (Toynbee ici magistral) -  en quantité massive.

     L’installation de tels groupes en France est en cours – il serait trop long de revenir sur l’histoire de cette installation, qui est fortement appuyée par des organisations internes à la France, comme le parti communiste, le parti socialiste et les organisations créées à cette fin, dont les possibilités médiatiques sont connues de nous tous ; appuyée aussi par des puissances étrangères. Ces puissances ont des interprètes idéologues qui ne manquent pas d’aplomb : ils proposent une France des communautés.

     Je me demande si la classe politique parmi quoi se recrutent nos gouvernants d’aujourd’hui et de demain ne souffrirait pas de certaines lacunes de formation. Toutes les réalités impératives ne sont pas d’ordre économique. Du fait de notre régime politique avec ses échéances courtes et répétées, il n’y a personne pour penser la longue durée ; la Constitution ne le prévoit pas.

     Tels ne sont pas gênés par le manque d’idées : ils ont celles de l’adversaire. Tels, après avoir été complaisants pour le communisme, favorisent l’accumulation d’éléments potentiellement inflammables par un fanatisme religieux, et personne ne peut l’ignorer, et les sages entre guillemets semblent soucieux à tout va de conférer la carte d’identité française aussitôt que possible. L’Angleterre de la Guerre des Deux Roses avait ses Kingmakers, nous avons au gouvernement des wisemakers, des faiseurs de sages !

     La France doit être voulue à chaque génération. Vous qui me lisez c’est votre tour.



[1] Multiracial veut seulement dire que plusieurs types  anthropologiques (dolicocéphale nordique, alpo-carpathien brachycéphale, méditerranéen dolicocéphale) ont été déterminés à partir des squelettes des ancêtres des habitants de cette partie de l’Europe.

[2] Modèle polyhistorique : l’expression a sur celle dont use Max Weber « Type idéal » l’avantage d’une plus grande précision. Le modèle polyhistorique est définissable.


____________________________________________________________________________________

Dans La Guerre en question (Gallimard, 1951) Monnerot avait déjà consacré ces quelques pages (32-34) au problème du racisme :


     Hitler et les siens "réactualisèrent" - le temps d'une brève et spectaculaire marche à la catastrophe - le plus moderne des mythes : l'apprenti sorcier. En mettant la race à l'ordre du jour, ils ont invoqué des forces qui ne résident pas seulement dans la race blanche. Sans doute la faculté de se représenter "l'autre" leur manquait tout à fait. L'Occident aura successivement enseigné à tout ce qui n'est pas lui les principes de la science moderne, l'usage qu'on pouvait faire de la loi du nombre, et le "racisme". Aujourd'hui les plus fidèles disciples d'Hitler ne sont peut-être plus parmi les blancs. Les Européens auront transmis au-delà des frontières de leurs Etats, des enseignements qui, une fois compris des "enseignés" sont fondamentalement contraires aux "enseigneurs". En Asie orientale, dans les îles, l'Insulinde, l'Afrique, etc., les blancs ne sont pas le nombre; si l'on applique la loi du nombre, c'est contre eux. La situation privilégiée des blancs en Asie était originairement due à la qualité (note), qualité des hommes, qualité des techniques, qualité du matériel. Or, l'Occident par l'intermédiaire de ses intellectuels et de l'Intelligentsia indigène qu'ils ont endoctrinée, a transmis aux Asiatiques la superstition de la quantité, la préférence due aux besoins du plus grand nombre. Le marxisme - ou ce que les Asiatiques ont pu en absorber, ce en quoi les Asiatiques ont pu le transformer - n'a fait faire qu'un pas de plus à une idolâtrie des masses déjà en bonne voie. Idolâtrie qui n'implique point qu'on ne trompe pas l'Idole (au contraire). Et c'est, de plus, en Occident que s'est exprimée le plus clairement l'idéologie dite raciste, idéologie d'opprimé, revendication de vaincu. Le "racisme" n'est pas le fait d'une conscience collective tranquille, il traduit une dangereuse incertitude de soi. Il est la réaction à un doute, une tentative pour persuader autrui et se persuader soi-même. Le raciste affiche une satisfaction désespérée d'être comme il est, en tous points semblable à ses congénères. Le paradoxe de cette idéologie est qu'elle soit une revendication de supériorité. La supériorité ne se revendique pas, elle se constate. Justifications et explications accroissent le doute auquel elles répondent. On ne subjugue les âmes, on n'entraîne l'ultime assentiment que par des actes et des manières d'être, non parce qu'il devrait en être ainsi, mais parce que c'est ainsi. Autrement il ne s'agit à des degrés divers que de contrainte. Dans ces matières, l'apparition de l'idéologie est mauvais signe. Quiconque explique qu'il est supérieur, c'est qu'il ne croit pas l'être autant qu'il le dit : cela révèle une sorte de fêlure dans son sentiment de l'être. Les hitlériens ont préparé là un breuvage de sorcière qui convenait moins bien aux blancs - pris collectivement - qu'aux Intelligentsia de races en révolte contre les blancs.


     La loi du nombre, le racisme : autant de justifications théoriques données au programme dont l'article premier est l'éviction des blancs…

Note : Dans l'ensemble, sur le plan de l'intellect spéculatif, et plus encore sur le plan de la sagesse, l'Occident peut n'être pas tenu pour supérieur (du moins la décision qui permettrait de trancher un tel débat, diffère radicalement d'une constatation scientifique). Quoi qu'il en soit, l'Occident ne peut  emprunter tel quel à l'Orient ce qui lui manque. Un être collectif comme un être individuel doit faire sa propre sagesse selon ce qu'il est : "L'homme, disait Spinoza, n'a pas besoin de la perfection du cheval". Les blancs n'ont été qualitativement supérieurs que par cet ensemble de vertus qui assure l'hégémonie. Encore n'est-ce là qu'une vérité des grands nombres, une vérité moyenne.

______________________________________________________







Suite




Jules Monnerot



Copyright Le Site de Jules  Monnerot 05042007