Le Site de Jules Monnerot




(Défense, revue de l'union des associations d'auditeurs de l'Institut des hautes etudes  de défense nationale, n° 45, oct. 1987)











11 septembre 2001 



              SOMMAIRE





Qu’EST-CE QUE LA GUERRE PROTEE ?

MONTEE DE L’ACTION PSYCHOLOGIQUE

LA "DROLE DE PAIX"

LE PIGNON ET LA ROUE DENTEE

LE "MOYEN GENERAL" DE LA "GUERRE PROTEE"

LE CAS DE LA DESINFORMATION

L’ EFFORT MILITAIRE PLUS NECESSAIRE QUE JAMAIS

LES AGRESSEURS POLYTROPES

THEORIE UNITAIRE DU NOUVEL ART DE VAINCRE

LE PRINCIPE DE RIPOSTE

FAIRE LA GUERRE QU'ON NOUS FAIT

COMBATS AVEC TES DEFENSEURS

 
 


                 


Qu’EST-CE QUE LA GUERRE PROTEE ?



Si je parle aujourd'hui de "Guerre Protée", c'est-à-dire de guerre qui peut prendre des formes diverses, pourquoi parler encore de guerre ? Parce que la diversité de moyens s'éclaire par l'unité du but, ou plus exactement de l'objectif général de la guerre, qui est d'imposer sa volonté c'est-à-dire de vaincre par les moyens appropriés les obstacles que rencontre cette volonté, et avant tout, premier obstacle, obstacle actif, la volonté adverse, ou plus exactement toute volonté adverse. La volonté adverse se révèle comme résistance à vaincre, et, pour simplifier, toute résistance à vaincre est quasi-spontanément traitée comme obstacle à surmonter. La guerre pour les hauts commandements intéressés est un choc de volontés. Ce point étant clair, lorsque nous parlons de guerre Protée, pourquoi notre pensée traite-t-elle, sous la rubrique guerre, de matières et de moyens qui jusqu'à présent n'entraient pas dans le champ des historiens ou stratèges traitant des opérations militaires ?

Pour comprendre plus vite, changeons brusquement de démarche et considérons la guerre au sens traditionnel et classique du terme. Si nous suivons par la pensée l'histoire de la guerre, comme on suit d'avion le cours d'un fleuve, nous constatons que dans la 2e moitié de notre XXe siècle, l'idée de guerre comme constante identifiable dans les variables de temps et d'espace, l'idée de guerre subit une mutation.

La forme la plus élaborée et la plus généralisée de guerre, qui s'est épanouie dans les deux guerres mondiales ou "grandes guerres" du XXe siècle, est comme ces espèces paléontologiques -- prenons l'inévitable exemple des grands sauriens de l'ère secondaire -- qui, ne pouvant plus se développer dans le sens, dans les directions où elle se sont développées jusqu'ici, parviennent à une impasse.

Des deux conflits mondiaux de la première moitié du XXe siècle se sont dégagées des "superpuissances", la "république impériale" des États-Unis et la "logocratie impériale" qui se nomme elle-même U.R.S.S. et aussi des puissances de moindre taille, ayant une "nuisance value" considérable, comme celle que nous, la France, nous constituons. On peut dire que depuis un quart de siècle notre monde historique connaît la perspective dite de la "destruction mutuelle assurée". Cette destruction mutuelle assurée restant conditionnelle, ne peut devenir effective que si l'on s'avise de se livrer à une "guerre mondiale" sur le modèle des deux précédentes. L'idée de victoire procède d'un rapport positif entre le risque et l'enjeu, rapport qui est altéré et rendu improbable lorsque les moyens, c'est-à-dire les armes, sont tels qu'ils ont chance de produire, par excès, le contraire du résultat cherché : la destruction mutuelle assurée. L'enjeu risque d'être détruit, et la victoire vidée du contenu escompté. Le "vainqueur" entre guillemets doit envisager la perspective d'avoir à remédier à des dévastations et à des exterminations sans précédent, et aux conséquences, notamment génétiques et écologiques, non entièrement prévisibles, qu’entraînerait sa victoire, et vraisemblablement, d'avoir à entretenir les populations vaincues. Il s'agirait donc d'affronter une situation sans précédent où l'on ne sait pas exactement ce qui surnagerait des résultats acquis, des valeurs et des motivations humaines, et où des transformations psycho-physiologiques imprévisibles pourraient être liées à la survie de l'espèce, etc. L'idée d'un jeu de profits et pertes indispensable aux supputations liées à la guerre classique ne s'appliquerait pas au nouvel état de choses dont nous évoquons abstraitement l'idée.

Mais l'objectif défini par Clausewitz subsiste. Dans l'histoire qui ne s'arrête pas, de grandes volontés politiques ou continuent, ou se remettent à tendre à s'imposer, ou à résister à d'autres volontés politiques qui, elles, tendent à les juguler. La montée des techniques et des technologies dans les parties les plus avancées de l'humanité, continue : ce qui dans l'histoire a toujours produit les guerres, persiste plus que jamais. Les facteurs de guerre n'ayant pas changé, ni les finalités qui les représentent dans des esprits d'hommes, ni les moyens humains scientifiques et techniques qui peuvent prendre toutes les directions que leur impriment des hommes, c'est le produit de ces facteurs, la guerre, qui changera. Et mon exposé traite de certains paramètres dominants de ce changement.

Le domaine dans lequel Marx est tout à fait magistral, c'est celui même dont nous avons à esquisser les contours, celui des nouvelles formes de la guerre. Cette remarque ne porte pas sur ce que Marx a eu l'intention de faire, mais sur ce qu'après coup il se trouve qu'il a fait. Il s'est situé dans le contexte des idées et des valeurs apportées par le XVIIIe siècle et diffusées par l'exemple, et surtout par le mythe de la Révolution Française. Egalité, Droits du citoyen, Humanitarisme, et il a produit des discours qui tendaient à montrer à ceux qui se réclamaient de ces idées et de ces valeurs qu'en réalité ces idées et ces valeurs affichées n'étaient que des pavillons couvrant la marchandise, laquelle consistait en pulsion déterminée par un égoïsme collectif que Marx appelle "intérêt de classe". Marx a dénoncé ce qu'il y avait selon lui derrière "les idéologies" de "la bourgeoisie". Cela n'est que trop connu, et je ne le dis que pour aller plus loin. Marx ne pouvait pas être compris par des prolétaires du XIXe siècle ; il ne pouvait être compris que par des intellectuels "bourgeois" comme Engels et comme lui-même mais pour mobiliser les "have not" il a jeté la suspicion sur les mobiles des "have". Cette schématisation peut sembler grossière. Elle n'est pas erronée.

Avant d'aller plus loin, précisons que nous entendons le terme "mobiles" dans son acception judiciaire : les mobiles du crime. Les psychologues disent aujourd'hui les motivations.

Nous touchons à l'essence même de la guerre psychologique. Marx s'adresse à des hommes qui ont déjà des motivations, qu'ils tiennent de la société préexistante. Ils opposent donc sans le savoir une résistance à la "prédication révolutionnaire". Il faut venir à bout de cette résistance. Marx travaille hardiment à annuler par avance l'obstacle psychologique qu'il rencontre ou va rencontrer. Il faut réussir à mettre en garde ceux qui sont sensibles à sa prédication contre leurs propres mobiles (qu'ils avaient avant). Marx attaque en profondeur comme l'ont fait jadis de grands hérésiarques. Il inaugure pour notre temps cet élément capital de la guerre psychologique, la diffamation des mobiles.

Il ne s'agit ici que d'une origine, d'un point de départ. De notre point de vue, qui est analytique il s'agit d'un moyen de guerre psychologique, et ce moyen nous l'appelons la diffamation des mobiles. Il s'agit pour les sectes, qui par la suite se sont réclamées de Marx, et, là, elles ne l'ont pas trahi, d'ôter aux catégories visées, aux catégories cibles, c'est-à-dire aux sociétés, aux groupes et aux individus qui refusent de se soumettre à son dogmatisme activiste et qui lui opposent des manières d'être et de penser différentes, il s'agit d’ôter à ces hommes leurs raisons de vivre et d'espérer: leurs valeurs (les nôtres pour fixer les idées) sont réputées des impostures, et leurs principes, nos principes, des falsifications.

Une telle position implique un élément arbitraire. Les tenants de ce dogmatisme activiste et des techniques qui l’appliqueront, par principe ne doutent pas qu'ils ont de leur côté les valeurs positives, qu'ils en sont l'incarnation, l'expression historique. Ils partent d'un absolu tout comme les mahométans, et c'est pour cette raison que tout leur est permis. Manifestement, la morale de l'adversaire, notre morale à nous, ne peut pas obliger les combattants de l'absolu, qui sur le plan intellectuel, ne l'oublions pas, détiennent, selon eux-mêmes, la vérité, ont compris, eux seuls, l'histoire, c'est à dire la suite, et considèrent les hommes et les groupes qu’ils ont à liquider ou à dissoudre comme représentant des obstacles. Si la suppression de ces obstacles peut apparaître comme un mal, les dogmatiques, les logocrates tiennent ce mal pour relatif, mal relatif administré en vue d'un bien absolu. Si nous venons à être déportés, c'est pour le bien de l'Humanité future. Les actes humains se jugent indirectement et selon un critère qui leur est extérieur, et c'est ce qui oppose, pour inverser les termes de Trotski, leur morale à la nôtre. Tout acte peut être sanctifié par la Fin, et cela va très loin.

Voilà pourquoi nous nous méprenons totalement sur la portée de nos critiques lorsque par exemple nous reprochons aux communistes les camps de travail en Union Soviétique, ou aux tenants d'un autre dogmatisme activiste, le terrorisme. Ce ne sont là qu'expédients et moyens qui comme tant d'autres expédients, sont à mettre sur la liste des maux relatifs en vue d'un Bien Absolu. Ici on ne peut pas aller plus loin. C'est le domaine de la Foi. Nous ne croyons pas à cet absolu. Mais nous devons en tirer instantanément la conséquence nécessaire : nos arguments ne peuvent atteindre ceux qui ont la Foi. Il y a là un esprit de guerre de religion, ou si l'on préfère de guerre de civilisation.

Il a donc fallu, pour qu'apparaissent les fondements de la guerre psychologique qui fait rage aujourd'hui, qu'il y ait un dogmatisme activiste, une foi fanatique opérant un changement des critères. Le but suprême de cette forme d'action psychologique, la fin dont la diffamation des mobiles n'est que le moyen, est de nous rendre les artisans de notre propre défaite. L'action adverse qui dans la guerre classique se produit contre notre action doit se produire dans notre psychisme, et antérieurement à notre action, et précisément pour arrêter cette action avant terme. Il y a intervention dans la région qui commande et dans le temps qui précède nos actes afin de changer ces actes eux-mêmes. C'est la manipulation psychologique dans le sens où on dit aujourd'hui manipulation génétique.



MONTEE DE L’ACTION PSYCHOLOGIQUE


Nous ne sommes pas sortis de notre sujet qui est la guerre, et nous devons ici indiquer sans insister l'homogénéité et la continuité de la guerre d'hier qu'il était reposant pour l'esprit d'opposer à l'état de paix, et de celle d'aujourd'hui qui coexiste avec la paix, la mine et la transforme. On peut dire, pour être rapidement clair, que la guerre d'hier, visant à juguler la volonté adverse, a toujours usé à côté des moyens clairs, ceux que relatent les historiens et chroniqueurs des opérations militaires proprement dites, de moyens noirs. Je tiens à faire remarquer que pour moi le choix des adjectifs "clair" et "noir" n'emporte aucune connotation morale : c'est une précision technique.

Ces "moyens noirs" n'étaient pas jusqu'aux guerres mondiales du XXe siècle mis sur un plan d'égalité avec les premiers par les historiens et l'opinion.

A la deuxième guerre mondiale, à côté de la guerre en pleine lumière, qui fait rage, l'observateur-analyste perçoit une montée en puissance des "moyens noirs". L'action de guerre pour ceux qui la dirigent consiste, contre toutes les oppositions, celle des hommes et celle des choses, à faire converger des facteurs efficaces, de manière à aboutir à des événements hautement exploitables, le tout en vue d'une fin politique (même si elle est strictement défensive, sauvegarde pure, c'est une fin politique) c'est-à-dire rendant possible et favorisant certaines conduites, rendant impossibles ou déconseillant puissamment certaines autres conduites. La définition classique, n'allons pas plus loin, est la destruction des forces opposées en tant que forces. Le moyen non moins classique consiste en opérations militaires, et l'art de la guerre porte depuis la protohistoire sur les différentes manières de les mener à bien. La deuxième guerre mondiale a été menée, si l'on en croit Anthony Cave-Brown avec une stratégie et une tactique où les "moyens clairs", ceux des campagnes narrées par les historiens militaires, et les "moyens noirs", qu'incarnent aujourd'hui les "services spéciaux", se supposaient et s'impliquaient de manière étroite. La deuxième guerre mondiale diffère de toutes les guerres précédentes, y compris la première, par une montée relative des moyens noirs par rapport aux moyens clairs qui est proprement sans précédent. Le succès même des anglo-américains à l'Ouest et à partir de l'Ouest est lié à la réussite d'un certain nombre d'actions psychologiques de très grande envergure. Les débarquements anglo-américains en Afrique du Nord, en Italie, et surtout en France, auraient été à la lettre impraticables sans la réussite, non pas complète mais suffisante, d'opérations d'induction en erreur à une échelle sans précédent historique. Les "moyens noirs" peuvent encore passer cette fois pour des adjuvants -- sine qua non, mais adjuvants tout de même -- des opérations militaires au sens strict, sur terre, sur mer et dans les airs. Mais il faut envisager la possibilité que ce soit pour la dernière fois dans l'histoire.

Du côté des vainqueurs la guerre "noire" avait été menée par les Anglais, avec les ressources américaines. Mais on peut mettre à l'actif des Soviétiques l'action des résistants et partisans communistes dans l'Ouest européen. Les dommages infligés à la machine de guerre soviétique, et le besoin absolu qu'avait Staline de l'aide anglo-américaine sous toutes ses formes, font qu'assez paradoxalement la Logocratie impériale du Kremlin n'a pas en matière de guerre "noire" une primauté qui appartient aux Anglais.

Mais le Kremlin développera intensément les "moyens noirs" dans la période qui suit la deuxième guerre mondiale, c'est-à-dire dans ce qu'il est convenu d'appeler l'"après-guerre". Mais cette appellation, comme un filet trop lâche, ne serre pas d'assez près la réalité historique. La superpuissance de l'Est manifeste en ces matières la supériorité que donne le totalitarisme à une organisation qui fonde ses projets de conquête du monde sur la prise de possession des esprits des hommes. Dans ce système où la politique et la guerre ne diffèrent que comme diffèrent chez nous les armes différentes, aviation, marine, moyens terrestres, la transmission des ordres venus d'en haut ne rencontre pas d'obstacles du type "Libertés" ou "Droit"; l'exécution des ordres est contrôlée, aucune gêne d'ordre constitutionnel et légal, aucun scrupule d'ordre religieux, aucune réserve d'ordre métaphysique, ne vient entraver les initiatives et les opérations décidées d'en haut; opérations réalisées ou tentées par les moyens d'un empire qui met à la disposition d'un commandement absolu toutes les ressources de l'empire et ceux qui les produisent. Ce qui donne deux résultats qui accusent la différence entre deux civilisations. Premièrement, il n'y a pas de société civile distincte de l'appareil d'État dans ce système logocratique. Deuxièmement, les services spéciaux, pour l’U.R.S.S. ne sont pas à la merci d'un budget voté chaque année par des représentants libres de leur vote.

Après la deuxième guerre mondiale, le monde ne s'est pas divisé en deux blocs, mais d'une part en un bloc, et d'autre part entre une pluralité d'unités politiques distinctes dont le maximum d'unité accessible est la coalition, avec tous les problèmes qu'elle pose à des individualités collectives différentes. On ne s'est plus permis alors que des "Guerres petites et moyennes" d'où les grands protagonistes n'étaient pas vraiment absents, mais où les risques étaient limités et où, de part et d'autre, on pouvait dans chaque cas les proportionner à l'enjeu.

Il y a les "moyens noirs" classiques en temps de guerre moderne : capture des codes et des machines à coder ennemies, décryptage et précautions pour que l'ennemi ne comprenne pas qu'ils sont décryptés, par exemple reconnaissances aériennes reconnaissant ce qu'on savait déjà et destinées à maintenir dans l'erreur un ennemi qui ne sait pas que ses chiffres sont décryptés. Continuons notre dénombrement des moyens noirs, la deuxième guerre mondiale nous en présente l'éventail et cela nous fera mieux comprendre la suite : la destruction des moyens d'information de l'ennemi : capture de radars ennemis (comme à Bruneval) prise de stations météo dans les îles, retournement des agents qui, dans les pays neutres, transmettent des renseignements météo.

Au cours de la deuxième guerre mondiale, les opérations de simulation et de dissimulation sont poussées à un degré jamais atteint, avec un luxe presque inimaginable : simulation d'immenses armées -- pour la photographie aérienne ennemie -- tanks en matière gonflable, poupées à grandeur d'homme portant 1'uniformie et les marques de leur unité supposée, et même en Libye contre les Italiens, allées et venues complexes d'Arabes et de chameaux pour faire croire à l'ennemi qu'il y a des pistes "routables", petites crécelles utilisées par les parachutistes pour reconnaître l'ennemi dans le noir, faux parachutistes et bombes réelles qui explosent en tombant, armadas de péniches en caoutchouc pour faire croire qu'on va débarquer; et jusqu'aux mystifications électroniques comme l'invention de l’effet "Moonshine" amplifiant les effets du radar ennemi et les réfléchissant (au sens physique du terme) de manière à produire sur les écrans ennemis le même effet qu'une flotte navale ou aérienne en mouvement.

Les opérations de simulation peuvent comporter des mises en scène exigeant un véritable scénario soigneusement exécuté comme l'opération Mincemeat, où sur le cadavre supposé d'un major américain dans les eaux territoriales espagnoles sont trouvées des informations crédibles dont les Anglais sont sûrs qu'elles seront transmises à l'Abwehr par les espions dont les Allemands disposent en Espagne. La réussite de l'intoxication est vérifiée par le décryptage anglais des communications de l'Abwehr (il s'agit alors de persuader Hitler que le "grand" débarquement allié aura lieu dans les Balkans). Enfin, émission de messages sans objet en direction d'agents fantômes, ou manipulation des vrais agents à qui l'on communique de fausses informations que l'ennemi, qui " surprend" ces informations, tient pour vraies, etc.

Tous ces exemples "piqués" au hasard établissent la montée en importance des "moyens noirs" qui ne sont plus un adjuvant, mais un ingrédient indispensable d'opérations militaires et un gage de réussite. L'induction en erreur de l'ennemi use d'un grand nombre de modes de supercherie, de mystification, d'intoxication, et, ce qui constitue un pas de plus, de manipulation de l'ennemi, du neutre, de l’allié, et à la limite de membres de sa propre armée. La deuxième guerre mondiale offre des cas de toutes ces variantes. Dans la situation où est la Grande-Bretagne entre 1940 et 1944 l'induction en erreur, considérée du point de vue de l'historien comme une arme à part entière, presque au même titre que la marine ou l'aviation, est nécessitée par un impératif de survie. Il faut voir dans cette puissante poussée d'instinct de conservation collectif le moteur de ce perfectionnement général des " moyens noirs ". Mieux que l'émission et la diffusion par des canaux organisés de rumeurs, mieux que les campagnes de "sibs" ou chuchotements, le champ par excellence de l'induction en erreur, c'est l'usage des médias, le Funkspiel, la mise en œuvre de " plans de jeu ". En fait il s'agit d'une partie de poker implacable et planétaire. C’est aux émissions de radio que devait incomber un rôle et une responsabilité (donc un mérite puisqu'elle a réussi) difficile à surestimer. La désinformation puisqu'il faut l'appeler par son nom, devient à la fois une technique (pour qui désinforme il y a des conduites souhaitables et des conduites à déconseiller), un art, pour ceux qui sont doués du "Fingerstitzengefühl" (du tact le plus aigu en ces matières); elle s'introduit alors en force dans la pratique des principales sociétés contemporaines, et elle n'en sortira plus. A telles enseignes que le passage, en 1945, de la guerre à la paix n'en marquera pas la fin, mais un développement nouveau. Développement qui atteindra une ampleur sans mesure et un rôle majeur à partir de la cessation des hostilités.

Il faut remarquer tout de suite que la désinformation, pour ainsi dire, donne sur la manipulation et l'art de manipuler les psychismes, la manipulatoire, à tel point que la frontière des deux concepts est imprécise. L'induction en erreur introduit des informations ou pseudo-informations dont il faut tenir compte dans les actes et la conduite; et le but de l'"intoxication" étant d'infléchir les actes de l'intoxiqué, on peut considérer l'induction en erreur réussie comme le commencement de la manipulation. L'acte d'un humain étant la terminaison, l'aboutissement de processus psychiques, le binôme désinformation-manipulation donne lui-même sur la détermination d'un discours et même d'un langage qui soit le plus adapté quant aux objectifs visés. Il y a eu, dans la deuxième guerre mondiale des opérations d'induction en erreur menées à une échelle non encore atteinte. Ces opérations "induction en erreur-manipulation" sont néanmoins restées tout le temps de la deuxième guerre mondiale comme subordonnées en dernière analyse à la réussite des opérations militaires. Telle en était la finalité.

En ce sens la deuxième guerre mondiale est peut-être la dernière des guerres classiques. Après, nous assistons, si l'on peut dire, à l'éclatement de la guerre, on plus exactement de la conception qu’on en avait jusque là. Les esprits les mieux informés tirent la leçon des deux guerres mondiales de la première moitié du siècle. Les inconvénients qu'il y a à militariser à l'extrême en le généralisant à l'échelle de la planète, un conflit, ou un nœud de conflits, sont manifestes à tous les yeux. En devenant à ce point hyperbolique, la guerre dépasse ses objectifs par un effet d'énantiodromie, elle parvient à des fins contraires : la perte sans mesure, et le fait que les populations vaincues, celles qui n'ont pas été exterminées, seraient à la charge du camp vainqueur. Une telle perspective, qui était encore lointaine en 1945, s'est précisée avec l'apparition d'armes (le nucléaire, toutes ses utilisations militaires, les fusées, etc.) dont la " nuisance value " est sans proportion avec les réels objectifs recherchés, ces objectifs étant de moins en moins la destruction et de plus en plus la domination. La perspective d'une partie qui détruit les enjeux se soutient de moins en moins et il faut chercher autre chose. La solution idéale du problème serait d'obtenir la victoire sans passer par la guerre.



LA "DROLE DE PAIX"



L' adage de Sun-Tzu parlant de l'ennemi, "Détruisez-le sans le combattre" pouvait n'apparaître pendant la deuxième guerre mondiale qu'une idée régulatrice, c'est-à-dire un idéal inaccessible en fait, comme les modèles purs des économistes mathématiciens, mais dont on gagnerait à se rapprocher le plus possible. Au fur et à mesure que nous avançons de l'après-deuxième guerre mondiale à notre époque, l'adage de Sun Tzu devient de moins en moins une pure idée régulatrice et de plus en plus, disons une manière-limite de poser la vraie question. La partie strictement et techniquement guerrière au sens que le mot a conservé jusqu'à nous est affectée de tels aléas qu'elle fait l'objet, malgré qu’on en ait, de conduites d'évitement chez les antagonistes potentiels. Les "guerres petites et moyennes" où l'on n'use pas d’armes hyperboliques vont leur train, et les grands antagonistes depuis la fin de la deuxième guerre mondiale ne cessent pas d'investir discrètement dans ces petites parties. Tout conflit, à une analyse suffisamment poussée, révèle l’action indirecte ou au moins la vigilance active de grands protagonistes extérieurs. Mais aucune de ces guerres partielles prise en particulier ne peut être décisive. Une accumulation suffisante de résultats favorables à un seul des grands protagonistes pourrait faire évoluer la situation. Nous ne pouvons pas encore, à la date où nous sommes enregistrer nettement un tel phénomène.

L'augmentation par les techniques de la deuxième moitié du XXe siècle de moyens hyperboliques de faire la guerre, s’accompagne jusqu'à présent du non-emploi de ces moyens, et d'une méfiance diffuse quant à ces moyens. Mais c'est alors notre époque même qui, au regard de toute l'histoire qui précède, peut apparaître paradoxale. Un rapport historiquement nouveau surprend alors l'observateur, rapport entre l'absolutisme psychologique des religionnaires, qui prétendent faire régner par tous les moyens leur vérité, et le caractère hyperbolique de la technologie, apte, à la limite, à volatiliser l'ennemi, mais non à le convaincre. Car la décision irrévocable de domination a été prise par les dogmatiques : les communistes, et une partie de l'Islam. Tandis que les autres grandes puissances qui ne se réfèrent pas à des idéologies closes, à des absolutismes idéologiques, ne sont pas déterminées à se soumettre à ces idéologies closes, à ces dogmatismes activistes, qu'il s'agisse du communisme ou de certaines variétés ou sous-variétés de la religion islamique.

Il semble que le développement des moyens de guerre dépasse le problème posé par l'histoire, et pour ainsi dire, en "rate" la solution par excès et non par défaut. Le problème reste la recherche de la victoire, et l'incompatibilité pour ainsi dire "existentielle", de ceux qui tendent à faire régner un dogmatisme activiste, et ceux qui n'acceptent pas ces barrières et veulent maintenir ouvertes les possibilités humaines. Nous pensons en effet, et la chose ressortit à notre civilisation et à notre histoire, que l'esprit humain, ou plus simplement l'esprit reste supérieur aux performances qu'il accomplit -- et qu'on doit maintenir pour lui la possibilité d'étancher ce que Kierkegaard appelait sa "soif de possibles". Si la guerre étant donné ses possibilités actuelles de destruction apparaît comme un moyen qui pourrait détruire les fins, le but n'en reste pas moins la victoire, puisque les dogmatiques activistes qui se réclament d'une Foi ne renoncent pas à faire régner la "vérité", et puisque nous, qui refusons toutes restrictions aux possibilités humaines, nous sommes l'affirmation et l'incarnation passagères d'une culture qui peut disparaître, mais qui, tant qu'elle est vraiment vivante, ne peut pas céder sur ce point sans cesser d'être elle-même. Le but reste la victoire, notre victoire éventuelle n'ayant en elle-même rien d' "impérialiste" : c'est, d'abord, la possibilité d'être. Mais l'enjeu lui-même du conflit multiforme, de la guerre Protée d'aujourd'hui est plus essentiel ; il peut apparaître en pleine lumière : le gain des anciens enjeux ne serait sur le chemin de la victoire qu'une étape. J'appelle " anciens enjeux " l'acquisition de provinces, de moyens de production, de matières premières, etc. Mais comme on disait autrefois, et cela se comprend encore parfaitement aujourd'hui, l'enjeu de la guerre Protée d'aujourd'hui, c'est l'empire sur les âmes, dans le concret, la politisation intégrale des conduites individuelles, la soumission intellectuelle et morale. Nous pouvons -- hélas ! -- nous former une idée assez nette de ce que serait une décérébration par les médias, et par des enseignants sociologiquement et politiquement "pervertis".

Dès lors ce qui n'était pendant la deuxième guerre mondiale qu' "action psychologique", le ressort même des pratiques "noires" que nous venons d'évoquer, reste, au moins pour une époque dont nous ne connaissons pas la durée, la seule voie pour atteindre l'équivalent, aujourd'hui, de ce qu'on appelait, avant qu'elle ne devînt aléatoire dans des perspectives purement militaires, la victoire. Le but est toujours le même, mais dans les situations qui sont celles d'aujourd'hui, quels sont les moyens qui sont les mieux adaptés au but ?

L ' usage des moyens militaires découlant de la technologie du siècle -- en matière de faits sociaux tout se tient -- la situation conflictuelle de fond qui caractérise la planète à l'heure présente produit un véritable renversement de perspective, et met à l'ordre du jour la proposition de Sun-Tzu : obtenir les résultats que seuls, ou que principalement, les opérations militaires réussies produisaient, et les obtenir tout en entretenant et en développant les technologies les plus avancées et les plus déterminantes, mais en en remettant l'usage autant que possible, et si l'heure vient de l' ultima ratio, en limitant cet usage au maximum. D'ailleurs en Europe occidentale, et en particulier en France, nous n'avons ni système totalitaire à étendre, ni religion conquérante à généraliser à l'échelle mondiale. Hegel a dit à peu près que la vraie liberté est de se vouloir soi-même. S'il n'est pas question de nous soumettre, il ne nous reste que l'autre terme de l'alternative. Si nous ne voulons pas perdre, c'est-à-dire nous perdre nous n'avons d'autre perspective que de faire la guerre qu'on nous fait. Qu'on le veuille ou non, les religions conquérantes ne connaissent pas d'autres limites à leur conquête que l'opposition de forces qu'elles ne peuvent surmonter.

Le but généralement visé dans les opérations de guerre pour chaque belligérant est d'être fort par rapport aux points faibles de l'ennemi. Il faut donc discerner chez l'adversaire des "plages de vulnérabilité" et procéder de manière offensive, profitant du fait que l'adversaire est sans défense sur ce point, ou n'y peut opposer que des moyens de défense insuffisants.

On peut définir la guerre Protée comme non seulement la transposition, mais encore la généralisation du principe. Le principe n'est plus enclos dans la "guerre" au sens de Clausewitz, dont le centre, et d'ailleurs l'essence, reste la série des opérations militaires de toutes sortes à quoi se limite la guerre au sens des historiens. Situable entre deux parenthèses chronologiques, elle part d'un état de non-guerre pour aboutir à des accords qui sont étudiés après coup par les historiens sous le nom de traités de paix. Ceux qui mènent la guerre Protée travaillent à partir du fait qu'il n'y a pas, sinon de manière périphérique, les petites et moyennes guerres où les grands protagonistes ne sont présents que de manière oblique, qu'il n'y a pas d'opérations de guerre au sens classique, en raison de la caractéristique même des technologies que les grands belligérants seraient alors contraints d'employer. Dans la "drôle de paix" que nous vivons, l'objectif qui était celui de la guerre demeure : juguler les volontés adverses, venir à bout des résistances quelles qu'elles soient.

Reste que le type de protagoniste qui vise congénitalement à endoctriner la planète et à modifier partout la conduite des hommes ne peut pas attendre. On peut supposer que ceux qui conduisent à ses destinées la grande Logocratie impériale de l'Est estiment, à juste titre, que le temps ne joue pas pour eux. Il y a un type d'épidémies psychologiques, comme nous l'avons bien vu en Europe dans nos guerres de religion au XVIe et au XVIIe siècles, qui si elles ne s’arrêtent pas ou ne sont pas arrêtées, progressent. Une religion conquérante ou l'équivalent ambigu que nous en avons au XXe siècle sous forme d'idéologie, en s'arrêtant, risque de geler le zèle de ses religionnaires. Le système de propulsion d'un dogmatisme activiste ne s'alimente, donc ne subsiste qu'en fonctionnant. L'affrontement sans échappatoire de puissantes volontés contraires, se poursuit donc dans une situation où les technologies d'une efficacité sans précédent qu'il est possible d'employer, ne jouent plus qu'un rôle de dissuasion contre elles-mêmes, aussi bien chez un protagoniste que chez l'autre. C'est cet horizon de terreur qui limite l'action des volontés adverses à l'emploi de moyens non classiques, de moyens noirs.



LE PIGNON ET LA ROUE DENTEE



Si l'on transpose de la guerre tout court à la guerre psychologique la règle d'attaquer les points faibles de l'adversaire, on constatera que la dissemblance ( servons-nous des termes usuels ) du régime non démocratique au régime démocratique signifie que les particularités spécifiques des sociétés ouvertes comme les nôtres ( sociétés à régime constitutionnel pluraliste ) correspondent comme le pignon correspond à la roue dentée, à des particularités spécifiques des régimes non démocratiques. Dans le cas historiquement sans précédent de la généralisation de la guerre psychologique, dans notre cas, les "sociétés ouvertes" par rapport aux sociétés qui visent à une certaine étanchéité -- disons les sociétés totalitaires pour nous faire comprendre, et en souhaitant qu'on assourdisse toute connotation passionnelle -- présentent des faiblesses qui sont sans contrepartie.

Dans nos "sociétés ouvertes", le courant continu des informations ne peut être interrompu ; l'expression du mécontentement et des protestations des citoyens contre les responsabilités qu'ils imputent à leurs gouvernants et dirigeants, ont des organes légaux et puissants (syndicats, presse, médias, etc.), les citoyens groupés en "partis", ont pleine latitude pour mettre en question toutes les mesures et décisions prises au nom de l'Etat -- ceci pour le politique. Au point de vue sociologique, ce sont des sociétés complexes, composées d'éléments très hétérogènes, où ces éléments hétérogènes sont solidaires, interdépendants, se commandent les uns les autres, donc peuvent se paralyser les uns les autres, des sociétés complexes, dis-je, dont les articulations, qui doivent jouer convenablement pour que ces sociétés fonctionnent, sont délicates, donc fragiles. Si des rouages essentiels de la société ne fonctionnent pas, toute la société de proche en proche est atteinte dans son fonctionnement, c’est à dire dans ses possibilités d'action dans les domaines les plus divers.

Dans les régimes libéraux, il peut y avoir, il y a, contrainte économique, il n'y a pas contrainte politique. L'Etat ne peut donc pas faire manœuvrer la société comme dans le totalitarisme, où même notre notion de société civile ne s'applique pas, où la contrainte économique et la contrainte politique sont indiscernables, et, au fond, de peu d'intérêt pour l'assujetti. De plus nos sociétés ouvertes sont légalistes. Le citoyen y détient des droits.

Il y a séparation absolue entre l'état de paix et l'état de guerre. Nos régimes en principe ne tiennent pas les citoyens à l’abri d'informations jugées indésirables comme le font les régimes totalitaires par une censure officielle. Nos régimes permettent des manœuvres adverses visant à les discréditer par des procédés qui ne violent pas la loi, mais qui soumettent la population à un martèlement psychologique, si elles sont puissamment orchestrées. En fait, ces "régimes démocratiques" ne peuvent s'opposer à l'action psychologique adverse par voie d'autorité, alors que le pouvoir totalitaire a une totale liberté d'action à l’intérieur, et rend impossible chez lui le type d'agression psychologique qu'il peut planifier et faire exécuter chez nous. Le Pouvoir totalitaire est assuré de n'être point attaqué par ses propres journaux, il n'a rien à craindre de ce qu'il nomme "syndicats" et qui n'est pas l'équivalent de ce que nous nommons ainsi. Surtout pas de grèves, alors que des grèves simultanées des transports et de l'électricité peuvent nous mettre littéralement à terre. Ce n'est point hasard si le développement des sociétés ouvertes se confond avec un développement du droit qui sépare absolument l'état de paix et l'état de guerre : l'état de guerre caractérisé par la présence d'opérations militaires suspend une grande partie de ces particularités des sociétés ouvertes que nous nommons des libertés, mais dans l'optique de la guerre Protée que mènent contre nous des dogmatismes activistes, ces libertés sont autant de points faibles.

Dans nos sociétés ouvertes le Pouvoir est tenu, en droit et en fait, de rendre compte de ses actes, de tout "justifier" de manière convaincante, de ses faits et gestes politiques, de la conformité de ses faits et gestes non seulement à la Loi, mais encore à ce que nous appelons l'Opinion.

Le système totalitaire a éradiqué la religion dans l'Etat et n'en tolère que ce qu'il est contraint d'en tolérer; aucune morale liée à une religion ne restreint les décisions qu'il prend pour "aller dans son sens", comme disait Bismarck. Des interdits moraux pèsent sur les "sociétés ouvertes" qui attachent du prix en principe à toute vie humaine. Elles ne peuvent, pour se défendre, expédier sans jugement des dizaines de milliers d'individus dans des camps. Nos "démocraties", moralement héritières du christianisme, ont des modes de conduite humanitaires. Joignez à cela le devoir de ne pas s'en prendre aux innocents et le souci de satisfaire à une légalité sourcilleuse et jalouse de respecter les droits des individus, et vous avez un type de société organiquement désarmée par rapport à la guerre Protée. L'adversaire, s'il est habile, peut induire dans les sociétés ouvertes des réflexes, des réactions morales qu'il n'éprouve pas et qu'il considère comme le dit expressément Trotski dans "Leur morale et la nôtre" comme des signes d'infériorité. Du fait de l'importance de telles postulations éthiques, la technique de prise d'otages par exemple place les sociétés ouvertes (jusqu'à présent) dans un cruel embarras et y suscitent des affirmations discordantes. Ce qui, passé un certain degré pose un problème de défense nationale.

Notre société ouverte trouve légitime les idéologies. Ceux qui devinrent les tenants disciplinés d'une logocratie impériale devenue une superpuissance étaient, et sont peut-être encore considérés comme les cousins idéologiques d'une bonne partie des républicains français, qui selon la "mythistoire" nationale se tiennent plus ou moins pour les descendants spirituels d'une Révolution par excellence, donc de la révolution même, la révolution française. Il y eut même après la deuxième guerre mondiale une tendance très répandue à admettre les idéaux de la Logocratie impériale de l'Est pour les idéaux de la Révolution Française poursuivis jusqu'au bout, et servis plus ou moins bien par les dogmatiques activistes qui s'en réclamaient. De plus, il n'est pas difficile quand on reste dans le domaine des représentations idéologiques et non dans celui des événements réels, de faire procéder le communisme de l'égalitarisme, qui est une des pierres d'angle de ce qu'on peut appeler "l’idéologie dominante" en France. Et l'assaillant éventuel peut se porter avec aisance du domaine des idées au domaine des réalités sociologiques en excitant les "have not" contre les "have", en critiquant de manière implacable la corruption qui trouve un terreau favorable dans toutes les sociétés riches. En tirant parti également de cette particularité de notre démocratie représentative supportée par un appareil d'Etat relativement fort : on profite des incertitudes -- existentielles -- de l'élu, et de la possibilité de noyauter l'administration et le fonctionnariat d'un système politique qui donne des facilités pour le faire que les totalitaires jugent de leur point de vue comme autant de faiblesses.

De plus, une "démocratie" où les "masses" sont acculturées de fraîche date, ou en voie d'acculturation, est propice soit à l'éclosion, soit à la circulation de mythes, notamment messianiques. Des manipulateurs psychologiques de mythes qui favorisent leur progression, peuvent même induire -- il n'y a pour ainsi dire qu'un coup de pouce à donner -- l'apparition de Bêtes noires, par la répétition d'accusations et d'imputations ayant pour objet un certain personnage, une certaine institution ou même une certaine qualité -- comme celle de "fasciste" -- attribuée à des personnes qu'on veut écarter de la scène politique. C'est le mécanisme, maintenant familier aux observateurs, de la "diabolisation".

Des prises non plus constitutionnelles, mais historiques, sont offertes à ceux qui nous font la guerre psychologique, par des traits d'époque comme le despotisme de la mode, le mythe de la jeunesse, ou le laxisme résultant de plusieurs composantes : le quasi-effondrement d'une instruction publique qui ne parvient pas à acculturer des éléments de plus en plus hétérogènes, et qui permet d'opposer à toute tentative de re-création -- car il ne faut pas moins -- les tabous égalitaires qui jouent contre les éléments susceptibles d'aller le plus haut et le plus loin. Ainsi notre pays est induit à perdre et gaspiller ce qui réclame plus que jamais une économie et une politique avisées des ressources rares : la matière grise. Dans la mesure où il y a des tendances au déclin, elles peuvent être et elles sont, aggravées et dirigées. Nous assistons actuellement à une montée du sectoriel (les agitations syndicales) du régional (les agitations plus ou moins autonomistes, tendant plus ou moins au séparatisme) et du centrifuge de manière générale, qui offre à un adversaire menant la guerre psychologique contre nous des prises qu'il saisit. L'égalitarisme s'exprimant par la surenchère, manié comme une arme de destruction économique, fait alors merveille.



LE "MOYEN GENERAL" DE LA "GUERRE PROTEE"



Une première approximation nous permet donc de circonscrire la guerre Protée. Il s'agit de faire de nos faiblesses, en tant que l'ennemi en est indemne, en tant qu'il n'a à craindre aucune mesure de rétorsion de même nature, une sorte de système de prises sur nous, la guerre Protée se réalisant par l’utilisation systématique de ces prises.

On peut définir la guerre Protée par son objectif : sélectionner dans une société des espèces de conduites qui, si elles étaient généralisées, détruiraient cette société; cultiver ces conduites et en exagérer certains caractères, les caractères destructeurs, un peu comme un sélectionneur en agriculture ou en élevage sélectionne des caractéristiques afin d’obtenir un produit où ce qui existait plus faiblement dans l'espèce "naturelle", présente un accroissement qualitatif et quantitatif des caractéristiques recherchées. L'accumulation d'une myriade d'actions ponctuelles comparables à des coups de pouce, aboutit à ce que l’on pourrait comparer a des effets symphonique. La guerre Protée contrairement aux guerres de plus en plus hyperboliques qu’elle a remplacées au XXe siècle, est caractérisée par une pluralité indéfinie de formes d'attaque à très basse intensité, comme une myriade de coups d'épingles. Ce sont les " mesures actives " qui, dans les premières périodes communistes étaient considérées comme des adjuvants de la propagande, des facteurs favorisant l’épidémie, et qui, aujourd'hui que les effets de la propagande, après être parvenus à saturation, déclinent, sont les moyens principaux.

Ce qui distingue et définit la guerre Protée, c'est qu'elle cherche la décision non pas en exploitant des faiblesses d’ordre militaire (par exemple géostratégique) mais en tentant de corroder le tissu même de la société qui est, pour parler comme l'ancienne école, le "sujet" dont l'armée au sens le plus large du terme est l' "attribut". Le nouvel art de vaincre a pour exécutants une foule de gens qui s'illusionnent sur ce qu'ils font et qui n'en ont pas toujours conscience, et si nous ne sommes pas avertis ou si nous nous obstinons à ne pas comprendre les avertissements, nous pouvons être de ces gens. Prises chacune en particulier, les actions de la guerre Protée (le nom d'action convient à peine) sont des actions moléculaires. Exemple : une activité de réseaux et de relations se déploie pour pousser quelqu'un vers un poste stratégique, ou pour interdire à quelqu'un d'y accéder. La vue d'ensemble échappe à cet exécutant et cet exécutant peut se méprendre tout à fait là-dessus. Il ne sait pas ce qu'il fait.

Quels sont les moyens par excellence de la guerre Protée? Les moyens de masse : création d'une myriade d'associations, prises de commandement ou noyautage déterminant d'un grand nombre d'autres associations.

Le noyautage de l'Etat et de la société civile. Des actions à couvert s'exercent pour pousser des hommes qu'on préfère parce qu'ils sont ou affidés, ou contrôlés par des affidés, ou préférables à leurs concurrents du point de vue des noyauteurs.

Menées invisibles en tant que telles et déguisées en autre chose par des agents d'influence. Ceux que dans la guerre "classique", on nommait des "traîtres" s'appellent aujourd’hui des "agents d'influence". C’est un des très nombreux "succès sémantiques" de l'adversaire. Le cas des "agents d'influence" est bien connu de tous ceux qui s'occupent de la question. Outre ceux qui animent les associations dont je viens de parler, il s'agit de personnes en possession d'une audience certaine dans les milieux ainsi travaillés. Eux aussi sont tenus par leurs points faibles : des actions passées, ou des ambitions passées, présentes ou futures. L’agent d'influence qui remplit le mieux ces conditions doit avoir une surface sociale telle qu'il soit à l'abri des investigations, qu'il soit scandaleux de s'attaquer à lui, et que, de bonne foi, des citoyens indignés, et eux, inattaquables, puissent éventuellement le défendre.

Les opération de guerre Protée consistent à mettre sur pied dans chaque cas des orchestres où seuls les "contrôleurs" sont au courant de ce qui se passe. Plusieurs orchestres peuvent converger, orientés de très haut. Les grandes campagnes de la guerre Protée se passent ainsi. Nous ne donnerons pas d'exemple. Le romancier, Vladimir Volkoff, a dû user -- avec un grand talent -- de fiction, dans son ouvrage "Le Montage", pour exposer le problème. Faiblesse des sociétés ouvertes du point de vue de l'agresseur : la fiction était le seul moyen à sa disposition. Si l'auteur avait choisi l'histoire et le témoignage et non la fiction, il aurait subi l'application des lois sur la diffamation. La force même du système des agents d'influence vient des obstacles que rencontre l'administration de la preuve. Il y a ici, exploitation maximale d'une de nos vulnérabilités. Pourtant, l'observation et l'analyse sur un nombre suffisant d'années d'un certain nombre de personnages et d'entreprises révéleraient une suite ou mieux une série d'interventions allant dans le même sens, telle que l'explication par une aussi grande quantité de coïncidences accumulées, serait hautement improbable. J'ai observé un phénomène de ce genre pendant un quart de siècle. Je ne dirai pas où. Il s'agissait de démarches tendant à faire croire, soit que les communistes étaient trop forts et que le seul moyen d'en user avec eux était de ne pas les contrarier, et de tendre à ménager la place de la France dans un monde dominé par eux, soit au contraire que ce système totalitaire étant en état d'infériorité, il fallait éviter en lui résistant fermement, de le pousser au désespoir (donc au déclenchement d'une troisième guerre mondiale aussi générale que la deuxième, et qui risquait d'être suicidaire pour l'espèce humaine).



LE CAS DE LA DESINFORMATION




La désinformation
qui a fait l'objet d'un ouvrage très utile de M. le Professeur Cathala, doit être prise dans un sens plus restreint que ne l'ont fait les Professeurs Richard H. Schultz et Roy Godron dans leur livre "Désinformatzia", qui embrasse plusieurs sujets, certes imbriqués, mais qui n'en méritent pas moins chacun une analyse propre.

A propos de la désinformation on peut montrer la continuité entre ce mode si caractéristique de la guerre Protée et le Funkspiel, le jeu de la radio dans lequel les Anglais ont excellé. Anthony Cave-Brown dans la "Guerre secrète" en donne une définition analytique qui éclaire par avance la désinformation qui a suivi. "Sous sa forme la plus simple, dit-il, le Funkspiel ou jeu de la radio consiste à emprunter un des canaux d'information de l'ennemi pour y injecter une information fausse ou déroutante". En effet la désinformation ne passe que si elle est protégée par la confiance donnée à l'instance qui désinforme. Elle doit, si possible, viser le milieu le plus disposé à l'absorber, en l'entourant de garanties apparentes destinées plus particulièrement à ce milieu.

Le professeur Cathala définit excellemment la désinformation, une tentative d'influencer l'adversaire sur ce qu'il doit prendre pour un renseignement, à tout le moins pour une information, "une nouvelle". La désinformation prend son caractère propre non nécessairement de son contenu qui peut ne pas être erroné, mais de la dissimulation de l'intention réelle qui préside à l'apparition à cette date et dans ce milieu, d'une "nouvelle" ou d'une fabulation, voire d'un "faux", qui sert les desseins du désinformateur. La désinformation se caractérise en effet la plupart du temps par une présentation déformante et elle dissimule ce qu'elle est, c'est-à-dire une action ou plutôt une mesure active dirigée sur une cible. Le désinformateur, souvent, n'est pas vraiment conscient du rôle qu'il joue, ou il s'en désintéresse. Journaliste, par exemple, on lui a suggéré de traiter sa matière, l'actualité, d'une certaine manière, de l'infléchir dans un certain sens. Il n'y a pas nécessairement de différence de contenu entre la désinformation et l'information. La désinformation -- sauf le cas de faux caractérisé, qui se présente, certes, mais qui est d'un effet limité (un faux peut renverser les résultats prévisibles d'une élection, cela s'est vu), la désinformation ne consiste très souvent que dans le traitement de l'information mais un traitement spécial. Il peut y avoir majoration, minimisation, arrangement du vrai avec le faux, suppression d'une partie de l'information, surestimation, sous-estimation, choix de la connotation des mots, avantageuse ou péjorative, la suggestion d'associations d'idées tendancieuses, souvent de simples déplacements d'accent. La censure par omission, c'est-à-dire une absence là où il aurait dû y avoir une présence. De simples effets de mise en page, une information minimisée par la place qu'on lui donne dans un journal ou discréditée par la rubrique où on l'a mise. Dans l'audiovisuel, une information est diminuée quand elle donne lieu à une récitation monotone, maladroite, et à la limite peu audible. J'ai "piqué" presque au hasard quelques techniques de mensonge journalistique qui sont d'une pratique quotidienne. Un travail universitaire exhaustif sur ce sujet serait le bienvenu.

    En somme, la désinformation peut consister dans une certaine manière de présenter l'information, de lui faire jouer un rôle dans une argumentation implicite.

Il découle de là que si nous avons des analystes intellectuellement bien équipés, la désinformation reconnue telle est une information que l'adversaire nous donne. On doit pratiquer sur la désinformation une "lecture à l'envers". La désinformation analysée nous renseigne sur les intentions du désinformateur, et en révélant ses intentions, peut trahir ses insuffisances, ses manques, ses inquiétudes. Ainsi le désinformateur nous informe malgré lui.

En général, une pratique systématique de la désinformation en direction d’une cible ne vise qu’à provoquer le désarroi, l'incertitude, et, convergeant avec d'autres mesures actives, fait en sorte que nous ne sachions pas à quel saint nous vouer. L'agresseur frappe les points les plus vulnérables ainsi découverts.

La désinformation, cette partie intégrante du nouvel art de vaincre, est avant tout " action psychologique ". Elle a comme instrument privilégié les médias, presse écrite comprise, sujet capital mais dont je ne traiterai pas ici parce qu'il mérite des travaux très méthodiques et très poussés, fondés sur une vaste information. Il serait, je crois, utile à la défense nationale que de tels travaux soient entrepris. Les médias constituent un instrument terrifiant de confusion intellectuelle et morale, de confusion active et rapidement efficace. Il s'agit de l'usage qui en est fait. On peut en faire un autre usage, mais ce n'est pas notre sujet.

Nous ne traiterons pas du terrorisme, un des problèmes les plus redoutables que l'histoire ait jamais posés à des responsables. Le terrorisme est aujourd'hui la manifestation la plus voyante de la guerre Protée. D'une part le terrorisme est lié à tout le reste. D'autre part, sous les formes actuelles il présente une spécificité historique qui requiert la science et le génie de spécialistes, tant sur le plan de la connaissance que sur celui de l'action. Il ne cesse d'inspirer des travaux. Nous n'en parlerons pas ici.

La situation actuelle se définit par une configuration de traits caractéristiques qui la font originale au sens fort du terme, c'est-à-dire sans précédent. Aucun des traits qui la constitue n'est original, mais la figure l'est. Passons de l'abstrait au concret. Considérons une à une les caractéristiques de cette situation.

 

 

L’ EFFORT MILITAIRE PLUS NECESSAIRE QUE JAMAIS

     


Je ne dis pas une grande puissance. mais une puissance effective, susceptible de se manifester en tant que telle, pour avoir seulement voix au chapitre, doit posséder répétons-le une "nuisance value" suffisante. Les richesses virtuelles des océans entourant les îles sous pavillon français, font que l'indépendance des colonies survenue dans les années 50 et 60, n'a pas supprimé la présence mondiale de la France. Donc -- et c'est là que nous voulons en venir -- une mise en état de la France qui lui permettrait de ne pas être une victime passive de la guerre Protée ne dispense nullement de l'effort militaire proprement dit, avec ce qu'il suppose de nos jours de performances dans les technologies de pointe. L'effort proprement militaire, celui que nous faisions autrefois, nous en sommes - mutatis mutandis - moins que jamais dispensés, quelle que soit l'aide que nous puissions attendre de nos alliés. Le nouvel art de vaincre ne suggère pas que les moyens de défense les plus perfectionnés doivent ou puissent être remplacés. L'absence totale de ces moyens, pour nous, ou pour une Europe où nous avons place de leader, nous placerait au nombre des objets, et non des sujets de l'histoire.

Seul un appareil militaire utilisant des technologies de pointe, et dont la "nuisance value" peut faire réfléchir n’importe quel adversaire, nous donne voix au chapitre. Ce rappel était nécessaire.

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, nous, France, et nous, civilisation occidentale, ne sommes plus seulement aux prises avec le dogmatisme activiste couramment désigné par le mot communisme ce qui signifie l'ensemble des actions menées à partir d'une logocratie impériale poursuivant une expansion planétaire sans limites (les tenants de cet impérialisme idéologique considèrent qu'ils sont la raison immanente à l'histoire, l'accomplissement de l'histoire, donc le Bien, parce qu'ils n'en connaissent pas d'autre). J'ai comparé il y a près d'un demi-siècle le dogmatisme activiste des Communistes au dogmatisme activiste de l'islam dans sa phase conquérante. Cette comparaison a jadis quelque peu étonné. Aujourd'hui elle n'étonnerait plus personne. L'Islam (ou si l’on préfère un Islam) revient occuper comme il le fit dans les premiers siècles de son existence le devant de la scène historique mondiale, sous la forme d'un dogmatisme activiste renouvelé du Moyen Age, obtenant grâce aux moyens techniques modernes (les discours de Khomeiny transmis par cassettes aux musulmans du monde entier etc.), le maximum de publicité, c'est-à-dire de propagande, avec le minimum de moyens. Contre le terrorisme d'une part, et d’autre part, l'invasion pacifique que nous conceptualisons sous le nom impropre d'immigration, et qui assure au terrorisme une logistique, un soutien, un vivier, un asile (il peut se fondre dans une population dont les terroristes ne se distinguent par aucun trait apparent) le dernier mot de la technologie ne peut rien, et nos performances dans ce domaine ne nous font pas avancer. Des supputations volumineuses portant sur la troisième guerre mondiale avec leurs laborieux et éphémères décomptes de têtes de fusées, ont donné lieu ces trente dernières années à un véritable genre littéraire. Par rapport à la guerre Protée, à la guerre qu'on nous fait, l'histoire dira sans doute que c'était une "littérature de diversion".

L'irruption de ce nouvel adversaire, l'Islam intégriste, dans la guerre Protée ne doit pas bénéficier d'un effet de surprise. Ce protagoniste dernier venu n'a, à proprement parler, inventé aucune forme d'agression. Dans l'optique globale de défense nationale ici choisie, la "révolution islamique", si on veut l'appeler ainsi, ne nous contraint pas à repenser la guerre Protée, mais seulement à appliquer la théorie du nouvel art de vaincre dans la perspective qui est la nôtre. La caractéristique distinctive de la guerre Protée, donc du nouvel art de vaincre, qui est l'élaboration de la stratégie qui convient le mieux à cette guerre, reste dans le deuxième cas ce qu'elle était dans le premier: polytropique.

Le nouvel art de vaincre, c'est la guerre Protée du point de vue de celui qui, l'ayant comprise, sait qu'elle ne comporte pas de défensive, mais une riposte qui ne peut être qu'offensive. Le dilemme est : offensive ou défaite. Le vaincu, anesthésié, peut même marcher à la défaite sans s'apercevoir qu'on lui fait la guerre.



LES AGRESSEURS POLYTROPES



L'adjectif Polutropos, l'épithète de nature qu'Homère décerne à Ulysse, signifie "aux multiples tours". La guerre polytrope -- par définition une offensive -- consiste à sélectionner impartialement, en tout cas objectivement, les points faibles de l'adversaire visé, la "cible", et à tenir ces "points faibles" pour autant d'ouvertures incitant à l'attaque dans les meilleures conditions, c'est-à-dire dans des conditions où la riposte réflexe est impossible ou extrêmement improbable. Des mots comme "Protée" ou "polytrope" sont choisis pour montrer qu'il s'agit là sans exclusive aucune, de n'importe quel mode d'agression (toute convention du type : état de guerre-état de paix, droit commun-politique, droit des gens, etc., règles de la guerre concernant les uniformes, les prisonniers, les morts, etc.. est ignorée). Les dogmatiques activistes ne peuvent être tenus par ce qui tient les infidèles : contre l'infidèle il n'y a pas de mauvaise action. Lénine et le Coran sont d'accord là-dessus. Il n'y a même pas pour le dogmatisme activiste un état de guerre et un état de paix, bien que pour des raisons de force majeure, il soit contraint, quand la situation l'exige, de simuler, de faire comme s'il en était bien ainsi. Tant que le dogmatisme agresseur, ou plus exactement la force qui le brandit comme étendard idéologique, n'a pas consommé son empire sur tous les hommes de la planète, ce dogmatisme demeure en activité.

Tant que son dogmatisme activiste ne règne pas sur la planète entière, le religionnaire n'est pas en état de paix, et rien ne lui est plus favorable que le prix que nous attachons à des concepts en partie mythiques comme "paix", "détente", "coexistence pacifique". Ce type d'impérialisme idéologique ne peut être arrêté que par une force de signe contraire suffisante pour l'arrêter. Ces caractéristiques de fond sont communes aux deux perturbateurs de notre civilisation, le perturbateur communiste, et le perturbateur islamique. (Nous ne faisons pas de procès d'intention à une religion universelle : le perturbateur islamique est le perturbateur qui se réclame de l'Islam. L'expérience nous montre qu'il y a d'autres croyants de la même religion qui ne sont pas perturbateurs) mais la religion commune sert de canal de communication qui permet au perturbateur de recruter dans l'immense vivier des croyants. La densité croissante de musulmans en France fait du risque d'épidémie fondamentaliste autre chose qu'une vue de l'esprit.

La résurgence offensive d'une forme conquérante de l'islam ne modifie donc pas les perspectives définies par la "guerre Protée" -- "l'agression polytrope" -- et le nouvel art de vaincre, qui n'est autre que l'art de vaincre dans cette guerre. L'irruption de ce nouvel ennemi ne requiert qu’une diversification spécifique.

La situation où nous sommes est sans précédent dans l'histoire. Elle fait violence à nos habitudes et à nos institutions, à notre distinction de la politique intérieure et de la politique extérieure, de ce qui est public et de ce qui est privé, de ce qui ressortit au droit commun et de ce qui ressortit à la délinquance politique, tout autant qu'à notre distinction entre l'état de guerre et l'état de paix. La guerre Protée nous a été et nous est imposée, et le réflexe collectif le plus répandu dans notre société est de ne même pas le comprendre, ce qu'il faut considérer comme une "défense inconsciente" au sens psychanalytique du terme.

La guerre Protée trouve son origine dans les actions qu'ont menées au XIXe siècle des révolutionnaires contre la société européenne, dans ses variantes nationales. Dès l'origine l'action même de ces révolutionnaires -- donnons-leur le nom qu'ils se donnent -- était en quelque sorte prédéterminée par les particularités de la société et de l'Etat contre lesquels ils agissaient. Nous touchons là à leur condition même d’existence. Pour que les actions de ces perturbateurs soient efficaces, il a fallu qu'ils décèlent les points faibles de nos sociétés. Ils n'ont été efficaces en effet que lorsque sinon le succès, du moins certains résultats positifs obtenus par eux, ont décelé des plages de vulnérabilité dans notre civilisation. C'est toute l'histoire des révolutionnaires russes à partir du dernier tiers du XIXe siècle. On voit alors comme à l'essai, les principaux procédés de la guerre Protée et de la conduite "polytrope" de ceux qui la mènent. Attentats, grèves, noyautages dans l'université, dans l'armée et même dans les classes dirigeantes, culture des ressentiments, qu'ils soient ceux des allogènes, des ouvriers, des mougiks, des marins, etc. Il faut y ajouter la propagande qui, en apparence jouait le tout premier rôle ; l'idéologie et la propagande par quoi cette dernière s'étendait, passait alors pour l'essentiel. C'est ce type de révolutionnaire à mentalité conspirative qui a pris le pouvoir lors de la réussite de la Révolution russe. D'une manière comparable, (mais différente) ce sont des manipulateurs psychologiques à mentalité conspirative (héritiers des sectes les plus efficaces de l'Islam), maîtres du pouvoir en Iran, développant une action tentaculaire dans tous les lieux du monde où il y a des musulmans, qui constituent la seconde agression polytrope dont au XXe siècle nos sociétés ouvertes et surtout la société française supportent plus ou moins le choc. Les premiers tenants de la guerre Protée procèdent de groupes de conspirateurs endurcis par la lutte contre des despotismes orientaux. Les moyens d'attaque non conventionnels, et se donnant pour tout autre chose que ce qu'ils sont, ont convenu aux actions révolutionnaires qui pouvaient être menées dans les sociétés occidentales qui du fait de leur histoire étaient mal préparées à maîtriser ces types d'agression hypocrite. Une partie en effet de ces modes d'action relève de ce que nous appelons, dans notre langage tranché, "la politique", une autre partie de la guerre -- civile -- et une autre partie encore, lorsqu’elle est télécommandée de l'extérieur, de la guerre étrangère. Ces différents types d'action relèvent chez nous d'institutions différentes, de services différents, ou même ne dépassent pas les ruses et les manœuvres qui, pour n'être pas morales, n'en ont pas moins cours dans le monde politique. Ainsi se brouillent dans cette forme nouvelle d'agression généralisée la politique et le policier, ou le militaire, tout autant que la politique intérieure et la politique extérieure, sans parler des liens qui se révèlent de plus en plus entre le terrorisme, le grand banditisme, le trafic de drogue, etc. Telle est donc l'agression contre quoi et les armes de destruction hyperboliques et les techniques militaires des armes conventionnelles ne peuvent rien.




THEORIE UNITAIRE DU NOUVEL ART DE VAINCRE



Mener la guerre polytrope, c'est appliquer les recettes du nouvel art de vaincre, qui ne peut consister, au moins partiellement, que dans l'emploi des mêmes méthodes. La guerre Protée -- ou le nouvel art de vaincre -- ici la définition est la même, se révèle par l'induction, l'exploitation, la multiplication et l'intensification chez l'ennemi, de perturbations de toutes sortes, de la grève à la drogue, du terrorisme au pacifisme, de la manipulation des grandes consciences à celle des petites ambitions, etc. L'élément essentiel de ce qu'il faut bien appeler les hostilités a lieu à l'intérieur de l'unité politique, de la société attaquée. Il y a une sorte de renversement par rapport à la guerre classique : l'essentiel de l'action se passe au-dedans. La présence d'un ennemi extérieur est soupçonnée, la plupart du temps, presque toujours elle n'est pas établie suivant nos normes exigeantes, juridiques et scientifiques. D'où cette situation paradoxale : lors d'une action de guerre Protée (terrorisme, campagne de presse, manœuvres sémantiques consistant à imposer et à désaffecter des mots et des groupes de mots) nous n'identifions pas à coup sûr le commanditaire, l'agresseur "originaire". Une agression, par exemple terroriste, peut être le fait de sous-traitants, et à la limite -- c'est un signe de réussite -- d'exécutants inconscients qui répètent des groupes de mots parce qu'ils les ont entendus. Il nous serait utile de disposer d'une instance entraînée à ne pas se tromper sur l'origine exacte de ce genre de coups, et sur la complexité d’ agressions dont il faut déterminer la signification, les agresseurs n'étant parfois que des exécutants.

Notre infériorité de départ dans la guerre Protée, l'agression polytrope et le nouvel art de vaincre, est une donnée que nous devons comprendre, mais n'est nullement une promesse de victoire pour l'agresseur.

Le principe général de cette "guerre sans guerre" est d'exploiter les particularités, les caractéristiques propres de l'adversaire, de la "cible", dans l'intention (c'est la finalité générale du système, fut-elle lointaine, ou très lointaine), d'en venir à bout, c'est-à-dire de lui imposer -- ici nous reconnaissons l'objectif de Clausewitz, toujours valable -- la volonté adverse. Pour que certaines particularités d'une des parties soient vues par l'autre partie comme des points faibles, il faut, condition sine qua non, que cette dernière ne présente pas les mêmes particularités, c'est-à-dire les mêmes points faibles. En sorte que la rétorsion réflexe qui, si elle était possible, annulerait les coups, soit impossible. C'est donc un principe de base de l'art de la guerre qui est mis en œuvre : frapper l'adversaire là où il peut le plus mal se défendre. Nous nous sommes longuement étendus plus haut sur les faiblesses des sociétés ouvertes par rapport à un ennemi totalitaire. Rappelons que nos points faibles, en tant qu'ils nous sont particuliers et que les agresseurs ne les présentent pas, sont pour ces derniers autant d'ouvertures, de brèches par où ils peuvent passer. C'est la définition opérationnelle des "points faibles" dans la guerre Protée : particularités spécifiques dont l'adversaire est exempt, et qui lui servent contre nous d'ouverture d'attaque sans possibilité de riposte immédiate. Par exemple une campagne médiatique peut nous faire beaucoup de mal. Si l'adversaire a, par agents d'influence, exécutants idéologiques ou corrompus interposés, les moyens de nous l'infliger, nous ne disposons pas d'une rétorsion du même type, les dogmatismes activistes contrôlant absolument leurs propres médias -- c'est une caractéristique de tout ce qui est totalitaire. La rente de situation de l'agresseur dans ce type de conflit à basse intensité, est l'assurance de non-réciprocité. Le grand système totalitaire de l'Est, de ses satellites, et d'autre part le dogmatisme fanatique de la "révolution islamique" disposent tous d'un centre impérial et d'une diaspora. A de tels dispositifs, nos sociétés ouvertes du fait de leur nature et de leur histoire, n'ont pas de dispositifs spécifiques opposables. En face de ce système agressif, elles présentent au contraire une faiblesse spécifique. Nos types de "sociétés ouvertes" et la France en est un exemple -- hélas ! -- particulièrement bien choisi -- sont vulnérables en raison de la solidarité, donc de l'interdépendance étroite des éléments qui la composent. Nous, en tant que société nationale, nous avons un certain nombre de défauts -- vus par l'adversaire ce sont autant de points faibles -- qui nous menacent à terme vitalement. On peut ici comparer une collectivité à un individu qui présente certaines faiblesses dues à sa constitution et à son mode de vie. Si cet individu se soumet à l'hygiène qui convient, il réduit les maux alors qu'ils sont encore virtuels. Si, à l'inverse, il suit un régime contraire les maux s'aggraveront. Dans le conflit à basse intensité dans lequel nous sommes, l'agresseur, pour ainsi parler, emprunte la stratégie et la tactique que la situation elle-même lui propose. Cela consiste à pousser dans la direction qui existe déjà. Si nous souffrons de démagogie il travaillera à ce qu’il y ait plus de démagogie. Avec le minimum de dépense (au sens large du terme) pour le maximum de résultats l'agresseur se place simplement en position de profiter du mal que nous nous faisons à nous-mêmes. L'adversaire n'a pas à inventer ni à innover. Par un programme digne de Sun-Tzu, la maxime de son action est de nous détruire en tant que puissance par nos propres défauts (pour être précis, par les points faibles qui sont les nôtres et qui ne sont pas les siens, au contraire, et nous prenons "défaut" dans le sens éthymologique de "manque"). L'observateur, historien ou philosophe, nous voyant pâtir aussi fort de nos propres défauts, invoquera des concepts vagues tels que décadence, déclin. Si on a l'esprit d'action, on apportera une certaine correction au diagnostic : il s'agit d'une décadence guidée, d'un déclin aidé. Ici les principes mêmes de l'action psychologique sont en action : l'art de manipuler qui consiste à intervenir au niveau des mobiles, dans la zone psychique où les actes se forment. Certaines motivations sont diffamées, d'autres sont cultivées. Ici comme ailleurs, l'art politique ressemble à celui du "sélectionneur", de l'éleveur, qui modifie l'objet de ses soins en développant certaines caractéristiques au détriment du reste.

Les points faibles en question, il serait fastidieux de les énumérer, et nous en avons parlé plus haut. Il est indispensable ici de rappeler quelques-unes de ces plages de vulnérabilité afin de mettre en lumière la pertinence et l'efficacité du système d'agression adverse, la nature de ce "nouvel art de vaincre", et la parfaite possibilité que nous avons, en effectuant les opérations mentales nécessaires, d'en user à notre tour, voire de renverser la tendance, en appliquant pour notre compte les règles d'un art dont l'adversaire s'est si bien servi.

Notre vulnérabilité par rapport au système d'agression polytrope est à la fois de l'ordre des institutions, de l'ordre des mœurs, et de l'ordre des habitudes, des pratiques et conduites, collectives en général, ou seulement très répandues dans nos collectivités. Nous avons déjà signalé la distinction de droit et de fait, c'est-à-dire la distinction à la fois juridique et historique de l'état de guerre et de l'état de paix.

L'état de guerre seul nous permet ou plus exactement nous permettrait, d'agir radicalement contre la propagande adverse, les fausses nouvelles, les informations tendancieuses ou biaisées, les inventions et constructions mentales dont la finalité est de nous démoraliser par des moyens divers et parfois contraires les uns aux autres, plus efficaces d'être simultanément employés. L'état de paix, pour nos "sociétés ouvertes", se caractérise, contrairement à ce qui est en vigueur dans le totalitarisme soviétique, par ce que nous appelons des noms pompeux, de "liberté de la presse", "liberté de l'expression" et de "l'impression", ce qui fait que le pouvoir, le commandement n'ont pas la faculté de parer un certain nombre de coups de l'adversaire, qui pratique, sans aucune restriction d'ordre moral et religieux, le système "polytrope", et peut ainsi nous infliger à domicile et en usant de nos propres médias, de cuisantes défaites. De même, les publications scientifiques renseignent largement qui veut l'être sur l'état et le degré de nos connaissances et de nos techniques. Les méthodes de l'espionnage industriel viennent compléter ici l'action de l'agresseur.

D'une manière générale les "libertés" inhérentes à un "état de droit" rendent malaisée la pose de freins efficaces susceptibles de mettre un terme à la détection des "curieux professionnels" dépêchés par l'adversaire. Nous tenons beaucoup à nos droits et l'opinion publique (elle y est aidée par une certaine propagande) a tendance à considérer comme vexations des contrôles de police indispensables dans une société hyperurbanisée, où des villes tentaculaires, d'immenses anthropothèques atteignent surtout si on prend en compte les nébuleuses dont elles sont le centre, des dimensions sans précédent historique. La perte de contrôle de ces labyrinthes peut nous réserver des surprises terribles.

En même temps l'idéologie dominante en matière de morale et de scrupules moraux tend à protéger des contrôles indispensables une population allogène qui s'est formidablement accrue depuis un quart de siècle. Cette population allogène conductrice de dogmatisme fanatique (les cassettes reproduisant les discours de l'Ayatollah Khomeiny y circulent) constitue à la fois une protection -- on s'y perd -- et un vivier pour les terroristes et les délinquants. Toute tentative de faire face à une pareille situation avec les moyens appropriés prend figure de persécution et suscite la protestation d'"autorités morales". L'adversaire polytrope n’a presque pas besoin d'"aider à la manœuvre".

Indéniablement, va de pair avec ce moralisme à fleur de peau une caractéristique qui logiquement (mais nous ne sommes pas ici dans un domaine logique) devrait s'y opposer, un degré de permissivité sans précédent dans notre histoire, et qui crée une atmosphère particulièrement favorable aux opérations de déstabilisation et à l'action psychologique adverse. Il n'y a guère de comparable dans l'Europe du XXe siècle que l'état de Berlin à la fin de la République de Weimar.

Nous ne pouvons ici procéder qu'à une énumération rapide et très incomplète. La détérioration qualitative et la diminution quantitative de cette garantie de solidité sociale qu'est la famille, lieu privilégié de la transmission d'une civilisation, s'accompagne d'un indéniable affaiblissement de l'éducation que vient aggraver un véritable effondrement de l'instruction publique. Il y a relativement beaucoup plus d'illettrés en France qu’il n'y en avait en 1914. Les écoles sont des lieux privilégiés de contagion de la drogue, pour ne parler que d'elle, et aussi de l'homosexualité que la permissivité favorise; cet affaiblissement de la famille étant donné, on imagine aisément qu'un milieu ainsi modifié ne constitue pas un terreau favorable où la plante civisme puisse être cultivée dans de bonnes conditions. Il faudrait intervenir en amont.

Les médias, amplificateurs formidables, et d’ailleurs sans précédent, des caractéristiques dominantes d’une société, font régner la permissivité qu' accroît le melting pot humain qui caractérise de plus en plus la France depuis vingt ans. Ce qui rapproche le plus les éléments à la fois hétérogènes et uniformisés, c'est la consommation des mêmes produits.
Tous les mobiles humain, qui dans les périodes précédentes tenaient en échec la permissivité dont nous souffrons, sont usés par les médias comme par l’action d’une roue, une roue diffamatrice des mobiles qui ont fait la solidité de la France, une roue qui ne s’arrête jamais de tourner. Contre ce rouleau compresseur psychologique -- la machine médiatique mérite bien ce nom -- un enseignement vigoureux pourrait seul lutter. Pour le moment nous pouvons dire que cet enseignement est à mettre au passé. On imagine sans peine comment l'agression polytrope pénètre de telles "plages de vulnérabilité" et travaille pour ainsi dire à l'intérieur de nos propres défauts. L'agression polytrope consiste à les aggraver en suivant la ligne de moindre résistance. Les défauts jusqu'ici inévitables qui sont la rançon de toute société riche, l'homme étant ce qu'il est, sont évidemment exploités ainsi que certaines particularités propres à nos élites dirigeantes. Par exemple la tendance française à l’organocratie, c’est - à - dire a une domination de fait des fonctionnaires (note : organon. en grec, signifie instrument, c'est l'origine du mot français organe, les fonctionnaires sont les organes de l’Etat) sur le reste de la population, ou autre exemple : les lacunes de notre classe politique en matière de science des différences humaines à quoi a été due jusqu'à présent la disposition qui consiste a imaginer l'adversaire ou le protagoniste d'après soi-même et à imaginer, par exemple, à l'image du nôtre le comportement des dirigeants communistes qui se sont succédé depuis Lénine, ou celui des sectaires intégristes de l'Islam, notamment chiites, bref, pour user d’un terme de psychanalyse, à se projeter dans le partenaire ou le protagoniste. Nous tenons là un "solécisme de l'action" qui a exercé de grands ravages. De ce syndrome dont le pronostic est grave, la politique du Président Roosevelt envers Staline demeure un exemple fameux. La diversité humaine pourrait peut-être être étudiée par ceux qui ont charge d'hommes, au cours d'un enseignement d’anthropologie générale qui, les choses étant actuellement ce qu'elles sont, fait cruellement défaut.

La connaissance, consécutive à une prise de conscience des points faibles que nous présentons et qui correspond aux types d'agressions dont nous sommes l'objet, est de toute nécessité, ce qui est parfaitement possible. Les adversaires n'ont pu faire dans la guerre Protée, dans "le nouvel art de vaincre", les progrès qu'ils ont faits que parce que cette prise de conscience n'avait pas eu lieu, sauf chez quelques personnalités, quelques travailleurs isolés qui n'avaient pas à leur disposition la machine médiatique : que parce que ce type de situation n'avait pas été élucidé. Nous venons d'esquisser rapidement ce que, du point de vue où nous sommes placés, on pourrait appeler les failles les plus profondes de notre Occident.

Il convient de placer ici une remarque que nous estimons capitale. La réussite modèle d'une opération de guerre Protée consiste à faire converger, pour obtenir le résultat cherché, des actes et des conduites parfaitement hétérogènes et même en principe opposés les uns aux autres, par exemple à "manipuler" des groupes ou des personnes de "droite" et des groupes et des personnes de "gauche" (nous employons ici ce vocabulaire sans rigueur pour être immédiatement compris). Chaque espèce politique pense dans ce genre de cas poursuivre ses fins propres. La révolution portugaise dite "des œillets" en est un excellent exemple. Ce qui ne signifie pas que cette convergence des actes et des conduites en vue d'un résultat cherché révèle l'existence d'un "chef d’orchestre" omniscient et infaillible. Elle manifeste seulement de la part de l'adversaire un empirisme résolu qui, dans une absence totale de principes moraux du type de ceux qui nous viennent de notre passé religieux, fait flèche de tout bois, c'est-à-dire attrape quelquefois au vol les occasions favorables. On commettrait une erreur en me reprochant de représenter les actions adverses, la guerre polytrope qu’on nous fait comme savamment planifiée par un état-major auquel rien n'échappe. Il n’en est rien. C’est dans notre conscience que l'image de cette guerre systématique et polytrope se forme. Nous conceptualisons pour comprendre. Mais cette image, ce concept, ne sont pas des illusions. Non seulement ces agressions polytropes prises en bloc constituent objectivement une action d’ensemble ininterrompue, mais encore conceptualisées en système ces petites et incessantes opérations nous permettent de mieux percevoir et de concevoir, nous, l'ensemble des réponses à opposer comme un système, en vertu du principe d'économie intellectuelle qu’on retrouve plus d'une fois à la base des grandes actions stratégiques et militaires, et qui a permis à Clausewitz après Jomini, de "théoriser" la guerre napoléonienne.

Ce système d'agression polytrope, issu des circonstances, qui (v. supra) contre-indiquait la "grande guerre" et les vastes opérations, en vertu du savoir-faire acquis des révolutionnaires conspirateurs devenus chefs d'Etat, grands théocrates, manieurs d'hommes, donc en raison de nos faiblesses mêmes qui ne pouvaient pas ne pas leur crever les yeux, ne s’est pas produit en tant que mode de guerre comme l'application d’une vaste conception stratégique préexistante. Il s'est produit comme beaucoup de séquences historiques que nous rationalisons après coup (l'Occidental, surtout français, est un "animal rationalisateur") parce que, dans leur situation et avec les avantages sur nous qui leur sont propres, et qui viennent en partie de leur moindre développement, les hommes d'Etats totalitaires, issus des grandes révolutions du XXe siècle, la révolution communiste et la révolution islamique, ne pouvaient mieux faire, et que là était leur chance de victoire. Ils voyaient devant eux un terrain où, de par leur expérience acquise, ils nous étaient supérieurs, alors que l’autre terrain, celui de la guerre classique, en vertu des progrès inouïs de la technologie, était devenu extrêmement périlleux. Mais nous, à notre tour, c'est en systématisant intellectuellement leur action, après l'avoir observée pendant un temps suffisant, que nous saisissons avec rigueur une telle situation comme problème, un problème dont la résolution est ou serait décisive pour notre civilisation. Problème que nous pouvons résoudre intellectuellement, tenter de résoudre en fait (il y a là deux opérations différentes de nature).

Si nous connaissons nos "points faibles", nous pouvons, restant dans le droit fil de la théorie de la guerre Protée, nous demander quels sont les points faibles de l'ennemi (des ennemis). Leurs structures sociales, leur texture historique et leur condition géopolitique étant autres, ces points faibles sont nécessairement autres.

Il n'y a pas là deux problèmes distincts, mais un seul. Pour mener la guerre polytrope et mettre en pratique le nouvel art de vaincre, il faut frapper aux points faibles de l'ennemi. Pour atteindre ainsi l'ennemi à ses points faibles, il faut n'avoir pas les mêmes. Ici l'examen objectif des situations comparées fait ressortir que si l'ennemi -- et cela est aussi vrai de la Logocratie impériale de l'Est que des tenants du dogmatisme fanatique qui brandit le Coran -- n'a pas nos points faibles, il a les siens propres.

Deux remarques s'imposent avant d'aller plus loin. La première est qu'il convient de se remettre en mémoire une réalité négligée à tort jusqu'ici. Le désir ne créant pas son objet, notre désir de paix n'échappe pas plus qu'un autre à cette application du principe de réalité, et deuxième remarque : que la non-riposte aggrave notre situation. La non-riposte, en effet, décuple l'esprit offensif des adversaires, et donne à penser aux "neutres" intérieurs et extérieurs, à ceux qui se donnent l'illusion de pouvoir rester en dehors, que nous sommes les plus faibles, ce qui peut pousser les neutres en question à prendre parti contre nous, activement ou passivement. Le premier principe d'action qui s'impose à nous est donc le principe de riposte. Une infériorité sur un point précis, même envenimée habilement n'est pas un élément de guerre Protée si l'on ne va pas plus loin. Nous conceptualisons en effet sous le nom de guerre Protée ou d'agression polytrope des phénomènes "ordinaires" qui, pris chacun en particulier, n'ont rien à voir avec ce que nous appelons "guerre", mais qui, si on les considère sous une optique stratégique, peuvent constituer un véritable dispositif d'investissement, comme si nous étions les assiégés d'une guerre de siège invisible. On peut, d'une manière à peine métaphorique parler d'une guerre chronique à basse intensité. Le terme de guerre se soutient en ceci que l'exploitation (exempte de toute convention et c'est ce qui confère un caractère métaphysique et inexpiable aux affrontements de conceptions du monde qui caractérisent le XXe siècle) des points faibles adverses, bien qu'elle soit maintenue au-dessous du seuil militaire, est absolue en ce sens que tous les coups sont en principe permis, et que, jusqu'à présent, à l'instar des anciennes guerres de religion, elle n'admet pas de vrais traités de paix. Nous ne sommes plus dans un monde historique régi par de telles conventions. Il y a guerre Protée parce qu'il y a effet d'ensemble. On peut même dire effet de composition. Existe l'équivalent de batailles ou de campagnes militaires.

Étant donné cette interdépendance d'éléments se commandant réciproquement, qui fait la grande complexité de nos sociétés "ouvertes", la stratégie et la tactique adverses ne sont jamais plus efficaces que lorsqu'elles jouent sur les jointures, les articulations, lorsqu'elles frappent au niveau des syndicats ouvriers par lesquels l'économie "marche", des syndicats de fonctionnaires, par lesquels, comme le nom l'indique, la France "fonctionne" ; au niveau de l'instruction publique, par laquelle nos sciences et nos techniques se transmettent et peuvent se développer; au niveau de la composition même du peuple, où celles de nos caractéristiques qui ont fait leurs preuves historiques en occidentalisant la planète quant aux produits et aux techniques, peuvent s’atténuer par dilution.




LE PRINCIPE DE  RIPOSTE



Le principe de riposte s'applique en s'opposant à la convergence de différents modes d'agression qui, chacun pris isolément, ne mériteraient pas ce nom. Par exemple, il est théoriquement possible de trancher la connexion entre attentats terroristes et publicité médiatique. Le développement du terrorisme vient de la découverte par l'adversaire des effets de terreur et d'annihilation procédant du fait que les attentats terroristes sont, par les médias, portés quasi-immédiatement à la connaissance de tout un chacun. Que deviendrait ce terrorisme sans la " médiatique" ? A l'inverse, la force du communisme en France a tenu longtemps à une véritable censure de fait qui a dissimulé par un véritable mur médiatique, à l'ensemble des consommateurs de médias, c'est-à-dire à tout le monde, les infériorités économique, scientifique, technique, de la superpuissance de l'Est, et qui s'est opposé très longtemps, ce qui est paradoxal étant donné nos moyens critiques, à la "déconstruction" (note : j'use, pour être compris plus vite de ce néologisme, que je crois éphémère) du marxisme, croyance agissante, mythe historiquement moteur pendant un temps donné. Actuellement, et l'image de l'U.R.S.S. et la croyance idéologique de cette logocratie sont moins protégées médiatiquement parlant, et un des moyens de conquête de l'agresseur polytrope a été affaibli. Corrélativement le nombre des communistes et sympathisants en France, a décru. Si éloignés de la défense nationale que se trouvent de tels phénomènes qu'à bon droit on nomme politiques, il faudrait être aveugle pour ne pas voir qu'il y a là des déterminants qu'on peut apprécier en termes de victoire ou de défaite. Des combinaisons polytropiques telles que grèves, drogue, émeutes raciales, périodes électorales agitées, peuvent rapprocher notre pays de la défaite, au point que même une défense de type purement militaire ne puisse pas être envisagée. Autrement dit, si l'on n'agit pas en amont de la défense nationale stricto sensu, la défense nationale tout entière risque de connaître le sort le l'armée Bazaine dans Metz. Une des caractéristiques de notre époque est l'absence de discontinuité entre le militaire et le politique. Ces hommes poursuivis, rattrapés, domestiqués par leurs propres médias n'ont pas, à notre grand étonnement, fait l'objet de romans de science-fiction. Peut-être parce que le sujet est déjà trop proche de la réalité.

Notre maîtrise dans le nouvel art de vaincre est "envisageable", mais elle exige de nous une mutation psychologique. Elle est donc fonction de notre capacité de mutation. Nous venons de parler de l'action des médias, et de montrer comment les médias peuvent constituer une plage de vulnérabilité très préoccupante. Mais ici l'adversaire "polytrope" n'a fait que prendre acte d'une possibilité, qu’exploiter une ouverture. Notre temps, notre situation montrent que les valeurs fondamentales d’une société peuvent être corrodées par ses moyens d'expression spécifiques. Le mythe de l'apprenti sorcier éveille chez nous des harmoniques profondes.

L'exposé que je vous soumets ici tel que je l'avais conçu, était chargé de trop de matières pour être contenu dans le temps qui m'était imparti. Je dois me contenter maintenant d'indiquer brièvement la suite des idées.

J'ai marqué pourquoi nous n'avions pas eu l'initiative dans cette forme nouvelle de guerre. Un tel effet de surprise explique l'avancée adverse dans une première période. Cette situation n'implique et n'indique en aucune manière une infériorité définitive. Mais elle nous suggère une véritable mutation.




FAIRE LA GUERRE QU’ON NOUS FAIT



Nous ne pouvons gagner une guerre, ou même seulement ne pas la perdre, sans la faire. D'où une recommandation qu'on peut exprimer sous une forme impérative :

Faites la guerre qu'on vous fait". Il y aura bientôt un demi-siècle que la deuxième guerre mondiale n'est pas suivie d'une troisième guerre mondiale. Entre la première et la seconde ne s'étaient écoulés que vingt ans. Il est nécessaire de faire en sorte, par nos divers préparatifs, que cette troisième guerre mondiale dont on ne doit point ne fût-ce que par hygiène intellectuelle, écarter l'idée, ne nous surprenne pas, mais il ne faut point que la perspective de ce règlement de compte apocalyptique nous aveugle et nous paralyse sur le type de guerre qu'on nous fait, qui n'est pas grande et qui n'est pas "mondiale", du moins au sens où l'étaient les deux autres.

Examiner et analyser le régime d'agression polytrope auquel nous sommes soumis, ne saurait être une opération purement passive. La conscience prise des événements, par un acteur non dépourvu de moyens d'agir et de réagir porte en elle la modification de l'événement. Ce que j'ai nommé thérapeutique de la lumière fait ressortir le caractère "activiste" -- c'est une métaphore -- de certaines représentations (au sens psychologique du terme). Il y a des "événements mentaux" : perceptions, inférences, inductions ou même intuitions, tels qu'une fois qu'ils ont eu lieu, les choses ne peuvent plus être exactement comme avant. La connaissance n'est pas gratuite. Elle a spontanément, et comme initialement, tendance à être vecteur d'action.

La prise de conscience de la guerre Protée, donc de la nécessité de travailler à former des caractères et des aptitudes pour le nouvel art de vaincre, nous propose deux directions et nous incite à deux élucidations. Une des deux directions est l'élucidation des points faibles de la partie adverse, l'autre est la connaissance de nos propres points faibles. Mais dans ce dernier cas, chez un être fort, et on peut le devenir si on ne l'est pas d'abord, la connaissance d’un défaut n'est pas purement passive. Elle se prolonge normalement en aspiration au changement, et, si les choses sont bien prises, en volonté de changement. La thérapeutique de la lumière s'ébauche déjà dans la volonté de rendre ceux qui sont manipulés conscients de la manipulation dont ils sont l'objet. Elle consisterait à élucider historiquement et généalogiquement (ce qui signifie faire voir comment un élément procède d'un autre, comment une situation procède d'une situation) les opérations "psychagogiques" qui ont été effectuées sur eux. La thérapeutique de la lumière consisterait à montrer comment les notions-clé et les sentiments-clé, comment le matériau psychologique de base, l'"alliage affectif fort et qui résiste au temps", ce qui fait la solidité de notre civilisation, est, et sont corrodés avec une continuité et un polytropisme opiniâtres par l'action psychologique adverse, exploitant avec une longue habileté nos particularités "démocratiques" et "libérales" dont l'adversaire, qu'il se réclame de la Logocratie marxiste, ou d'un fanatisme religieux d'origine plus ancienne, est remarquablement exempt, le problème pour nous étant alors de résister au totalitaire sans le devenir soi-même. En termes simples et clairs, notre société fondée sur des valeurs et liée à ces valeurs, est sommée par le péril historique de reconquérir, le mot n'est pas trop fort, ses moyens d'expressions les médias, et ses moyens de se transmettre, c'est-à-dire l'enseignement.

En s’attaquant prioritairement à ces deux poutres maîtresses de notre civilisation en même temps qu’à toutes les articulations de la société que nous constituons et qui nous constitue, société complexe, aux éléments divers et interdépendants, l'agresseur polytrope a illustré en les appliquant parfaitement les grands principes de la guerre Protée. La reconquête de nos moyens d'expression et de reproduction, moyens essentiels, prendra nécessairement du temps. La conquête -- à des yeux dessillés, le mot n'apparaît pas trop fort -- la conquête de ces moyens par l'adversaire a été de sa part un investissement continu de près d'un demi-siècle qui a créé chez nous un conformisme à l'envers, un "régime" destructeur au sens diététique du mot régime. Cette reconquête, non pas de provinces comme dans les anciennes guerres, mais de notre territoire psychologique, n'ira pas sans la mise en œuvre de mesures institutionnelles, portant non seulement sur la réintroduction et le réveil, pour ne pas dire la résurrection, de nos valeurs dans l'enseignement et dans les médias. Il est d'ailleurs théoriquement possible de fonder, par la collaboration de la Défense Nationale et de l'Instruction Publique, un Institut d'études des mesures actives, c'est-à-dire, au fond, de la guerre Protée, des actions polytropes et du nouvel art de vaincre, et d'en communiquer les résultats, au minimum aux plus responsables des Français, et au maximum à tout le monde. La reconquête -- insistons-y, le mot n'est pas trop fort -- des moyens d'expression (médias) et des moyens de transmission de la civilisation et de son noyau central la culture, prendra du temps. En attendant, car il s'agit d'une course de vitesse entre la pédagogie et la défaite, il serait souhaitable que, de même qu'il y a, en vue de la guerre "classique", une armée "active" et une armée "de réserve", on souhaiterait, sur l'initiative de la Défense Nationale et des bonnes volontés qu'elle pourrait susciter, la création dans la société civile de "centres anti-désinformateurs" à qui serait dévolue la fonction de faire prendre conscience aux Français de la guerre qu’on leur fait. Il découle de là qu'il serait, dans cette hypothèse, nécessaire de former les formateurs et de créer un "centre supérieur" qui pourrait communiquer connaissances, méthodes et impulsion aux centres répandus sur l'ensemble du territoire et des terres sur qui flotte le drapeau français. Cette thérapeutique d'urgence ne serait destinée qu’à généraliser dans la société l'esprit de défense, l'esprit de non-recul, en attendant que les mesures institutionnelles portant sur les moyens d'expression et les moyens de transmission aient porté leurs fruits. Pour les plus responsables d'entre nous, il ne s'agirait que d'accepter les conséquences de nos connaissances. L'efficacité de la "thérapeutique de la lumière", tient à l'"arrachage de masques" qui donne à la mise en pleine clarté d'une information jusque-là trompeuse, une sorte de valeur explosive sur le plan psychologique. La représentation, au sens psychologique du terme, peut être rendue agissante et motrice par la conscience qu'on en prend. Sans doute, les grands résultats où est parvenu l'Occident doivent beaucoup à cette valeur explosive de la connaissance. Tout ceci, qui est essentiel, ne peut être entrepris si les futurs praticiens ne font pas leurs certains impératifs ou certaines suggestions de l'ordre de la méthode. Il serait souhaitable de leur former une cuirasse intellectuelle et psychologique faite de scepticisme instrumental (toutes les notions qui ne sont pas suffisamment établies sont mises en attente et ne peuvent être essayées qu’avec précaution, aux risques et périls de l'essayeur), de doute provisoire et suspensif (celui-là même que recommandait Descartes et qui peut être la condition préalable de la certitude) et enfin ce qui est plus malaisé, un véritable blindage intellectuel et psychique en général contre le conformisme régnant en partie falsifié.

La guerre Protée se mène et se gagne en grande partie chez nous. Cela ne nous dispense pas de connaître les points faibles de l'adversaire et de tenter des opérations offensives telles que celles qu'il mène chez nous. La lecture, par exemple, des ouvrages d'Alexandre Zinoviev, et la lecture des ouvrages les mieux informés sur le Moyen-Orient d'aujourd'hui nous révèlent de telles "plages de vulnérabilité". Et nous ne sommes pas sans moyens. Mais ce sont des points -- capitaux -- sur lesquels le présent exposé ne porte pas.

Le principe de riposte peut prendre plusieurs formes, dont chacune est essentielle. A part la reconquête intérieure de nos moyens d'expression et de transmission, il consiste à faire la guerre qu'on nous fait et dans la mesure -- elle est loin d'être négligeable -- du possible, à frapper comme on nous frappe. Pour cela, il importe d'éclairer la société civile afin qu'elle combatte avec ses défenseurs, et que ceux qui risquent leur vie au service de la France se sentent soutenus par la nation, que les français ne regardent pas une partie de notre défense nationale avec les yeux de l'ennemi.

Le principe de riposte ne peut s'appliquer d'une manière réflexe et sans efforts d'imagination, puisque les collectivités ou groupes dont relèvent les agresseurs et nous, ne sommes pas constitués de la même manière, le totalitarisme, étatique et dogmatique, l'un ou l'autre ou l'un et l'autre, régnant parmi eux et non parmi nous. Pourtant, la règle de la riposte efficace prime. Dans ces conditions, cette riposte ne peut être pratiquée qu'en ayant recours a ce que j'appelle la " conduite de l'échiquier ". La conduite de l'échiquier consiste à considérer avec la plus totale liberté d'esprit la situation de l'adversaire et ses points faibles à un moment donné et à ne frapper que là où le coup est efficace. Faire comme l'ennemi qui a choisi son point d'attaque, et ici, non pas se défendre mais riposter, c'est-à-dire infliger sur un tout autre terrain un coup au moins aussi efficace que celui qu'on a reçu. Il peut et même il doit y avoir hétérogénéité complète du stimulus et de la réponse. Mais le joueur -- pour continuer notre comparaison -- qui aurait à lui seul l'échiquier complet devant les yeux, n'est pas vraiment constitué. Il reste virtuel. Il ne peut exister que si les puissances politiques qui sont nos alliées nous communiquent assez d’informations pour que nous ayons la vue la moins inexacte possible de l'échiquier. Mais, mieux on aura compris les principes de la guerre Protée, de l'agression polytrope et du nouvel art de vaincre, plus les puissances alliées seront portées à permettre a celles d'entre elles qui en ont un pressant besoin, d'adopter la conduite de l'échiquier. Absolument parlant, la conduite de l'échiquier présuppose la constitution du joueur " Occident ". En attendant, la simple alliance bien comprise peut amener beaucoup de progrès dans ce domaine.




COMBATS AVEC TES DEFENSEURS





On pourrait faire à cet exposé l'objection suivante : "Vous sortez du cadre de la Défense Nationale. Vous traitez en somme de politique". Mais ne sommes-nous pas à une phase de l'histoire où la distinction entre politique extérieure et politique intérieure est souvent malaisée, et bien des fois illusoire ? L'objection n'est donc valable qu'en apparence : la guerre Protée étant donnée, la Défense Nationale, tout en demeurant une spécialité indispensable, vitale, dans sa spécificité propre, devient une fonction générale. Le salut est, je crois, dans une sorte de généralisation de l'esprit de défense nationale dans la société civile. Il serait capital d'abattre les barbelés électrifiés qui séparent la Défense Nationale de l'enseignement et des médias. Et il faudrait une circulation confiante des idées entre les milieux de la Défense Nationale et les milieux où s'élaborent les solutions concernant l'ensemble de la société, et, en un sens, des sociétés. Jamais peut-être au XXe siècle, la tâche de la Défense Nationale n'a été si riche, ni peut-être si exaltante. A elle de former l'armée de réserve de la guerre Protée. A elle d'injecter à la société civile le "vaccin défense". Qu'on nomme le fait hasard, Grâce ou Providence, puisqu'il y a coïncidence de notre position historique et de nos vœux de connaissance, de notre obéissance à la loi du maximum de vérité, il ne nous reste plus qu'à nous imprégner de cette évidence : la meilleure preuve qu'on a compris l'art de vaincre, c'est de vaincre.





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(Le Nouvel Art de Vaincre est la suite, le complément, la mise à jour, du livre La Guerre en question ("un couple démodé, la guerre et la paix") que Monnerot avait publié trente-cinq ans auparavant, en 1951 (Gallimard).)

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Jules Monnerot



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